Jean RODHAIN, « Un sou et un regard », Messages du Secours Catholique, n° 53, novembre 1955, p. 2.[1]

Un sou et un regard

par Mgr Jean RODHAIN

Oui, je tends la main. Le Secours Catholique quête dans toutes Ies églises de France dimanche prochain, 20 novembre. Avec ce que vous donnerez ce jour, nous devrons aider tant de misères pendant 366 jours[2]. Merci pour ce don et ce regard.

***

Je dis ce regard parce que, au-delà de l'offrande, nous allons tous - et c'est le but principal de ce 20 novembre - regarder plus loin dans la nuit. J'appelle nuit ces poussières, ces fumées, ces nuages savamment provoqués par l'opinion. J'appelle nuit ce décor de la vie que notre myopie hésite à percer...

En la veille de Noël 1950, les portes de l'Année Sainte venaient de se murer pour 20 ans. Dans Rome attristée, un groupe de pèlerins se rend à la messe de minuit célébrée par le Souverain Pontife.

Ce groupe décide de cheminer à pied depuis le Colisée en suivant les dalles inégales de la « via Sacra », parmi le Forum discrètement illuminé, comme seuls les Romains savent disposer leurs clartés.

Parvenus au milieu de ces ruines couleur de miel, le plus jeune des pèlerins nous pose « naïvement » trois questions.

Primo : Cette ruine à notre gauche, sur cette terrasse de verdure, c'est bien le Palatin ? - Evidemment ».

Secundo : « Ce Palatin, c'est bien le Palais des Empereurs romains du début de l'ère chrétienne ? - Exactement ».

Tertio : « Alors, quand tout à l'heure, à l'Evangile de la messe de Noël, le Pape va chanter le texte de saint Luc : « En ce temps-là parut un édit de César Auguste, ordonnant le recensement de toute la terre..., c'est donc ici même, à deux pas de nous, que cet édit a été signé par ce César ? »

Personne ne répondit.

Chacun resta saisi.

Comment le voyage à Bethléem, la naissance dans la crèche avaient été provoqués par une signature donnée ici au Palatin ?

Comment, ce musée aérien que nous avions vingt fois exploré avec en mains les textes de Cicéron et de Tite Live, possédait la plus énorme de ses ruines : le Palatin, en rapport direct avec l'Incarnation ?

Marie et Joseph avaient été conduits de Nazareth à Bethléem par le recensement. Le Seigneur Jésus était né dans une crèche en raison de ce texte légal signé ici. Le Palatin est donc une relique aussi importante, aussi directement liée à la Charité du Christ pour ce monde, que les pierres de Jérusalem et de Bethléem.

Nous n'avions jamais regardé ainsi les ruines du Palatin qu'en cette nuit de Noël.

Quand donc dans les ruines de l'an Un et dans les Ministères neufs de 1955 - dans les avenues comme dans les ruelles du quartier, dans les bureaux comme dans les taudis - saurons-nous voir, non plus en rébus et à travers les fumées et le tapage de la quotidienne rumeur, mais face à face dans l'aveuglante clarté de la Charité, voir le doigt de Dieu écrivant l'Histoire quotidienne de sa Rédemption ?

***

Journée nationale du 20 novembre. Ce dimanche, le Secours Catholique nous demande quelques minutes de silence, pour quelques minutes de regard clair.