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La charité, d'un concile à l'autre

24 août 2017
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Jean Rodhain, « La charité, d'un concile à l'autre. Dans le problème des activités charitables de l'Église, qu'y a-t-il de changé du 1er au 2ème Concile du Vatican ? », brochure, nd (sans doute 1962), 12 p.[1]

La charité, d'un concile à l'autre.

Dans le problème des activités charitables de l'Église, qu'y a‑t‑il de changé du 1er au 2ème  Concile du Vatican

par Mgr J. RODHAIN

Secrétaire Général du Secours Catholique[2]

I ‑ IL Y A QUELQUE CHOSE DE CHANGE

Au précédent et récent Concile Vatican I, comment l'Archevêque de Paris s'est‑il rendu à Rome ? Le premier train[2] direct Paris‑Rome a franchi le tunnel du Mont‑Cenis le 16 Octobre 1871, trois mois après la clôture du Concile[3]. S. Exc. Mgr Darboy, Archevêque de Paris accompagné de ses deux vicaires généraux, a mis 16 h. 30 pour aller en chemin de fer, de Paris au terminus : Saint-Jean‑de‑Maurienne. Ils ont franchi le col du Mont‑Cenis dans une très dure tempête de neige qui les bloqua au sommet du col pendant 4 heures. Après une route de 72 kilomètres, ils ont repris le train à Suse, mais l'Archevêque de Paris, épuisé par cette traversée des Alpes a dû s'aliter à Turin et n'est arrivé que le onzième jour à Rome[4]. Son successeur, en Caravelle, mettra moins de 100 minutes pour se rendre au Concile de 1962.

Et, en voyageant vers Rome, tous les Pères du Concile avaient à franchir une frontière à laquelle nous ne pensons plus : celle des Etats Pontificaux qui ne cessèrent d'exister qu'au lendemain de Vatican I. Nous sommes tellement habitués à la Rome italienne et au traité du Latran qu'il nous faut trois secondes de réflexion pour convenir que, depuis Charlemagne, ce prochain Concile Vatican II sera le premier présidé par un Pape ne régnant pas sur un véritable Etat, pontifical et temporel.

Quelques mois avant le Concile, la Marine Impériale de Napoléon III venait remettre, en rade de Civitta‑Vecchia, quelques milliers de fusils Remington pour l'armée pontificale, et Pie IX organisait Piazza del Popolo une cérémonie pour recevoir 12 pièces d'artillerie offertes par les diocèses de l'Ouest de la France.

Que de changements d'atmosphère d'un Concile à l'autre…..

La liste serait longue des modifications survenues dans le « climat » et dans « l'ambiance » des préparatifs conciliaires, depuis le premier jusqu'au second « Vatican ». [3]     

Parmi tant de modifications, limitons‑nous à celles qui portent sur un aspect de la vie de l'Eglise : l'exercice de son activité charitable.

La charité, vertu théologale, ne change pas, et même elle demeurera au‑delà des temps. Mais l'exercice de la charité s'est adapté aux civilisations successives. Depuis le dernier Concile, des changements importants concernent directement l'action charitable. Quels sont ces changements ? Sont‑il seulement superficiels ?

PREMIER CHANGEMENT ‑ La notion de « Prochain ».

« Aime ton prochain comme toi‑même ». (Mat. XXII‑39)

« Qui est mon prochain ? » (Luc X ‑29)

Les Pères de tous les 19 Conciles précédents se sont rendus au Concile à cheval. Ils ont cheminé comme cavaliers isolés, ou groupés dans un carrosse, mais ils ont cheminé grâce au cheval. Même au dernier Concile Vatican I, des Évêques hongrois et italiens sont encore venus en calèche à deux chevaux, certains précédés d'une escorte de hussards à cheval. Et, d'un Concile à l'autre, il n'y a pas eu des chevaux augmentant de taille ou de vitesse, non, le cheval est resté identique, et le pas du cheval constant comme rapidité. Rien n'a changé pendant 19 Conciles quant au mode et à la rapidité de transport des Pères des Conciles.

Tandis que, pour la première fois dans l'histoire des Conciles, aucun Évêque ne viendra à cheval. Tous arriveront à cent à l'heure par le train, ou à neuf cents à l'heure dans un Boeing. Cela marque une rupture brusque[5] dans la fresque des Conciles. Et, si ce détail du cheval vous parait superficiel, laissez‑moi achever mon raisonnement : si, pour arriver à Rome, l'Archevêque de Dakar, à bord de son avion, ne met plus seulement que 4 heures, alors, c'est que l'Afrique est maintenant proche, donc l'Africain est mon « prochain ». Il l'a toujours été au regard de Dieu. Il le devient pour mes sens. Et cela change tout pour l'exercice de ma Charité.

Au temps de Notre‑Seigneur, le Bon Samaritain passe à trois mètres cinquante du blessé sur la route de Jéricho : il est proche, voici son prochain. Comme le pauvre Lazare sur le seuil du riche est le « prochain » de celui‑ci, en raison de sa « Proximité ». [4]

Saint Paul prouve aux premiers chrétiens que la Méditerranée reliant la Grèce à la Palestine, ce lien navigable les rend proches de la communauté de Jérusalem : voici une notion de prochain qui s'étale déjà.

En 1962, au Concile Vatican II, même les hommes des antipodes sont devenus proches. C'est nouveau.

Et non seulement la distance n'est plus comme jadis une séparation, mais une autre donnée s'est aussi modifiée récemment. Le prochain n'est plus un individu isolé, mais une collectivité mieux perçue qu'autrefois : « L'Église fait aujourd'hui ce qu'on pourrait appeler l'expérience physique de son universalité ». (Mgr Garrone)[6].

Le prochain présenté aux premiers disciples, c'est un paralytique, c'est un aveugle‑né, ce sont presque toujours des individus isolés. Une seule fois, c'est une ville ou une foule qui est prise en pitié.

De nos jours, nos contemporains commencent à toucher du doigt, non seulement la misère d'un individu, mais celle de nations entières. A l'enfant de 1869, on apprenait en classe la longueur du fleuve Yénisséi et la hauteur de l'Himalaya. A l'écolier de 1962, on enseigne aussi la situation famélique des Indes.

Radio et télévision commencent à nous rendre présents, à nous rendre proches et « prochains » des pays entiers groupant des millions d'individus. Le « Laudate Dominum omnes gentes » devient perceptible au paysan qui n'est ja­mais sorti de sa ferme, mais qui possède une « télévision ».

Cette connaissance et cette proximité seront rendues évidentes par le spectacle même de l'Assemblée Conciliaire. Alors que les Conciles antiques n'étaient que méditerranéens, alors que le premier Concile du Vatican groupait seulement 640 Évêques, tous de race blanche, le deuxième Vatican présentera, [5] avec ses 2. 800 participants, tous les continents et toutes les races.

Cette connaissance accrue, cette proximité nouvelle de nos frères, modifient la responsabilité du chrétien ‑ ou de l'Évêque ‑ à l'heure de ce  Concile 1962.

DEUXIEME CHANGEMENT : Les méthodes de l'Action Charitable.

L'action secourable ne s'exerce plus dans les mêmes conditions qu'en 1869 : elle se trouve dans des conditions différentes de rapidité, d'efficacité, de modalité.

Les disciples envoyés par Saint Paul depuis Corinthe, pour secourir la famine de Jérusalem, mettaient 3 semaines pour transporter la collecte.

Au temps du « Premier Vatican », ce trajet était aussi long. Mais, depuis 50 ans, tout a changé.

En 1962, pour aider les sinistrés du Chili, ma banque accepte un chèque télégraphique qui mettra le versement à la disposition de Caritas Chili dans les 24 heures ! C'est nouveau comme rapidité.

J'ai vu forer, à Ouargla comme au cœur du Sahara, des puits dépassant 1.200 mètres, et donnant, pour les oasis de demain, une eau surabondante. C'est nouveau comme efficacité.

Mais si ces techniques de rapidité et d'efficacité ne sont que des détails, le plus nouveau, c'est la structure socialisée de ce monde actuel.

Pendant 19 Conciles, l'Église a été considérée comme la grande réalisatrice de la Charité et des oeuvres de miséricorde. Aujourd'hui, dans aucun pays, elle n'a plus ce monopole. Et l'État, ou la profession, assument dans beaucoup de nations, les charges d'assistance. Dans une partie de l'Europe, le malade est soigné grâce à la Sécurité Sociale. La vie de famille est améliorée par tout un régime d'allocations familiales. Et je collabore à ces soins, comme à ces allocations ; par mes versements d'employé ou d'employeur. Cette justice sociale enfin réalisée, n'existait pas au temps du dernier Concile. Cela modifie heureusement les besoins du prochain. Cela modifie totalement les devoirs d'assistance du chrétien.

D'autres connections se sont nouées : le sucre que je mets dans mon café, varie de prix d'après le jeu de trusts  internationaux. Le journal que je lis tamise les nouvelles d'après un autre trust qui le possède et l'inspire. Ces détails signifient l'existence de réseaux internationaux, les uns connus, comme le Marché Commun, les autres semi‑occultes. Ces structures introduisent une dimension que nous avons à rendre « ecclésiale ». Dimension qu'il nous faut restituer à sa signification et à sa fécondité chrétienne, sous peine [6] de la voir ‑ en prenant les différentes formes du socialisme totalitaire ou marxiste ‑ se substituer à la conception chrétienne d'un social fondé sur la charité et le corps mystique. Tandis que beaucoup de chrétiens rêvent encore de la chrétienté constantinienne, depuis le dernier Concile nous sommes entrés dans une ère socialisée.

Ces dimensions internationales ne sont pas seulement économiques ou politiques. Une architecture mondiale a surgi qui touche à tous les domaines de la Charité.

Depuis 1945, des millions de « personnes déplacées », de réfugiés, seraient en 1962 des cadavres oubliés, s'il n'y avait pas eu les organisations internationales, véritables « bras séculiers » de l'O.N. U. pour les loger, les nourrir, les soigner, et, finalement, les réinstaller. C'est nous, contribuables de tous pays non communistes, qui payons cette immense opération qui se poursuit encore à l'heure actuelle. C'est la première fois dans l'histoire de l'humanité que se réalise une action caritative à cette échelle mondiale. C'est nouveau.

Et ce qui est nouveau, c'est aussi la méthode employée par l'Église en présence de cette nouveauté.

En 1888, le Pape Léon XIII chargeait le Cardinal Lavigerie d'organiser des collectes et de lever des volontaires dans le monde entier pour combattre une misère : l'esclavage.

En 1962, le Saint‑Siège ne mandate aucun Cardinal pour combattre cette autre misère : la faim. Mais S.S. Jean XXIII salue dans la F.A.O. « une forme moderne des oeuvres de miséricorde d'autrefois ». L'Eglise tient compte de cette architecture nouvelle : ces institutions n'existaient pas sous Napoléon III....

L'Eglise collabore en 1962, avec les Organisations internationales responsables ou de l'Alimentation ou de la Santé des Réfugiés.

La Charité locale envers le réfugié, le malade, l'affamé, ne peut plus ignorer ces structures internationales. Ceci n'existait pas en 1869. Ces changements modifient le problème ‑ et les solutions de l'action caritative ‑ à l'heure du Concile Vatican II.

TROISIEME CHANGEMENT : Dans un monde plus paganisé qu'autrefois, des communautés plus chrétiennes qu'en 1869.

Dans un grand nombre de pays, les milieux tant intellectuels que ruraux ou ouvriers, sont soumis à l'influence matérialiste, non seulement du marxisme, mais aussi du positivisme athée. Cette influence matérialiste informe toute une manière de vivre. Un type d'homme naît. Cet homme n'est plus le païen religieux auquel les missionnaires apportaient la Bonne Nouvelle, ni le croyant pécheur dont il faudra secouer l'apathie, mais un homme qui a évacué la notion même du péché [7] et mis de côté l'Eglise considérée comme témoin d'une époque révolue.

Depuis 25 ans, le communisme a sans cesse gagné du terrain. Après la dernière guerre, il s'est militairement installé dans la moitié du monde. Il menace aujourd'hui l'Afrique et l'Amérique. Dans tous les pays dits libres, le marxisme s'établit à la faveur des conditions de vie difficile ou, au contraire, des aspirations de l'homme au confort et à l'argent. Sa chance principale serait qu'en l'an 2000, la charité des chrétiens se fige dans l'archéologie.

Par contre, la communauté chrétienne a davantage pris conscience de ses responsabilités collectives vis à vis des pauvres du Christ.

En 1869, on voyait un riche paroissien fonder un hôpital ou un lit d'hôpi­tal, en remettant ‑ou en léguant‑ une fortune personnelle.

En 1962, c'est fini. Ce mécénat individuel est devenu rarissime. Par contre, pour Fréjus, des millions de donateurs surgissent. Les Évêques allemands, en réponse à leur appel « Misereor », ont reçu dix fois plus que le budget prévu. Et, pour construire la Cité‑Secours de Lourdes, des milliers de chrétiens versent 300 millions sans qu'on voie arriver parmi eux un seul mécène remarquable. Il semble que la communauté chrétienne revienne aux gestes collectifs de l'Eglise primitive. La Charité redevient ce qu'elle semblait être dans les Actes des Apôtres : une démarche de la collectivité chrétienne comme celle de la fraternité chrétienne. La « collecte » est le fait de la « collectivité ». Et ceci est profondément chrétien et social.... C'est un progrès par retour aux sources ....

Remarquons que, parallèlement, grâce à cet existentialisme dont le christianisme doit s'assimiler les éléments positifs, l'être humain est davantage considéré « en situation » baignant dans un milieu, et non plus considéré dans son individualité purement personnelle et « in se ». . . Impossible désormais, d'extraire un individu du milieu auquel il appartient en négligeant de poser le problème du milieu comme tel et de prendre les moyens de l'atteindre et de le transformer à l'échelle mondiale.... Ce n'est plus seulement tel ou tel pauvre qui a faim, tel pauvre que « je » rencontre, mais ce pauvre doit éveiller chez moi le sens « des pauvres » qui, de par le monde entier, ont faim, et me faire poser le problème à l'échelle des interférences universelles de la production, de la répartition, de la compétition entre puissances. L'exercice de la Charité est conditionné en 1962 par les Institutions ....

Or, ceci, nos fidèles le devinent confusément. En tout cas, ils évoluent vers cette prise de conscience. A quoi est due cette évolution ? D'abord, la socialisation générale a facilité une prise de conscience collective. [8]

Mais l'Église n'est pas restée passive : dans quelques régions, depuis le dernier Concile, la formation des paroissiens s'est perfectionnée. Le renouveau liturgique d'une part, un contact plus lucide avec la Bible, d'autre part, ont parfois augmenté le niveau moyen d'une paroisse. La Charité de chacun s'est du même coup davantage inspirée de la Charité du Christ.

Mais surtout, la grande nouveauté est l'Action Catholique. Ses organisations, sous la forme générale, ou spécialisée, ont lancé dans certaines paroisses de quelques pays des militants laïcs capables de responsabilités. Cette Action Catholique a surtout créé un climat apostolique plus attentif aux besoins des individus et plus soucieux de pénétrer les institutions. Là où l'Action Catholique a pu s'épanouir, la paroisse 1962 ne ressemble plus à la paroisse d'Ozanam. L'activité charitable se doit de tenir compte de cette rénovation. Elle doit s'y adapter. Elle peut s'y appuyer.

Le gros problème est dans le passage d'une charité conçue sur un tel mode de « contact personnel » à une charité qui, devenue nécessairement so­ciale et institutionnelle, accaparée par des organismes officiels, ne soit pas pour autant stérilisée de cet amour qui en fait l'âme. Comment l'Église dépossédée de la majeure partie de son antique monopole charitable (hôpitaux, enseignement , secours, etc) pourra‑t‑elle demeurer le témoin et l'apôtre de la charité surnaturelle dans notre monde ? Là est le problème dont il semble que beaucoup de chrétiens ne se préoccupent guère.

II ‑ RESTENT DES CONSTANTES

Qu'ils soient spectaculaires ou qu'ils soient profonds, ces changements ne doivent pas nous faire oublier ce qui reste inchangé dans l'activité charitable.

Je veux dire d'abord l'objet de cette charité : l'homme, qui, à travers les siècles, reste identique à lui‑même.

Un aveugle, en 1962, même avec subvention de l'État et carte demi‑tarif dans les transports , reste un pauvre aveugle privé de multiples joies, et, dans sa privation, il est objet de charité.

Un agonisant, en 1962, même soigné gratuitement à la pénicilline, reste un agonisant, avec ses longues heures de débat devant la mort et le jugement. Il agonise exactement comme le mourant du 13ème ou du 3ème siècle. Il s'agit de l'aimer et de l'entourer comme autrefois. Il n'y a rien de changé.

Ce super‑technicien de 1962 possède tout le confort et toutes les réussi­tes. Si sa femme le trompe ou si son fils le trahit, il souffre exactement comme un homme de l'antiquité et une amitié sera pour lui une charité indispensable, malgré les atomes… [9]

Enfin, ce chrétien vertueux, s'il est sincère, souffrira des tentations de tous les âges. « Nobis quoque peccatoribus », ce sont, pendant le silencieux Canon de la messe, les seuls mots que le célébrant ‑ quel qu'il soit ‑ doit prononcer à voix haute, pour signifier à tous cette constante de l'humanité blessée.

Aucune technique, aucune civilisation, ne modifie cette donnée du problème. La Charité reste permanente devant la permanence de chacune des blessures causées à la nature humaine par le péché originel.

L'autre constante :

S'adapter à son temps et considérer exactement la misère c'est ‑ avec du génie ‑ viser Machiavel ou Turgot. Même avec du génie, on ne dépasse pas l'airain sonnant. « Si je n'ai pas la Charité, diagnostique Saint Paul, je ne suis rien ».

Pour passer de Turgot à Vincent de Paul, il faut cet « autre chose » qui s'enracine ailleurs qu'en la technique ou l'économique. C'est le secret de l'eau vive révélé à la Samaritaine. C'est le contact, c'est la contemplation, c'est le lien avec Celui qui est la seule source de Charité.

Cette loi est la constante essentielle de ce problème des activités charitables, évidemment, puisqu'il s'agit de l'Église.

CONCLUSION

Sans oublier ces constantes de la créature en face du Créateur, il res­te que tous les autres termes. de l'équation ont changé.

Et ces changements sont plus considérables depuis les cent dernières années que depuis vingt siècles. Pour l'exercice de la Charité, il y a plus de modifications entre 1869 et 1962 qu'entre le 1er Concile et le dernier de la série.

Sommes‑nous les « témoins d'une mutation majeure de notre civilisation »[7]?

Est‑il exact que « nous sommes en train de sortir du néolithique » ?[8]

Est‑il vrai que nous sommes sortis de la chrétienté constantinienne au XIXème siècle sans nous en apercevoir ? [10]

Sans regarder si loin en arrière, convenons que les responsables des activités charitables doivent essuyer sérieusement leurs lunettes avant de pré­parer des formules d'adaptation.

« La Charité n'est pas une disposition qui, se trouvant infusée en nous par Dieu, peut être ensuite utilisée et dosée par nous à notre gré. Bien plutôt faudrait‑il nous la représenter comme un courant à haute tension dont nous ne pouvons espérer être traversés et vivifiés qu'à la condition qu'il ait d'abord tout fait "sauter en nous ».[9]

« L'humanité même chrétienne, dort encore. Elle dort assoupie dans ses vues mesquines, dans ses joies égoïstes, dans ses petites amours fermées. Même la Charité subit la loi de ce cloisonnement mortel ».[10]

La Charité n'est pas un habit que l'on retaille pour essayer de l'adapter à une époque comme on retaille le paletot d'hiver du gamin qui a grandi au cours de l'été.

La Charité est autre chose qu'un habit. Elle n'a pas à s'adapter. Elle se doit de précéder. Elle voit et elle regarde « en avant ». Ce n'est pas le mot « charité » du dictionnaire. Ce n'est pas la « vente de charité ». C'est cette flamme qui précède l'Épître aux Corinthiens et va jusqu'à l'Apocalypse. La Charité est un feu qui précède, et qui illumine la route.

La Charité ne se réanime pas avec des moyens techniques. Une oeuvre ne se rajeunit pas en se contentant d'acheter des machines comptables électriques.

Tout tient à la source. Tout se ramène à réhabiliter la notion de Charité. Tout dépendra de l'exact enseignement de la théologie, du rattachement de la foi au dogme de la Trinité, seule source de la seule Charité.

Un Concile n'est pas une Semaine Sociale, ni un Congrès de Directeurs techniques. N'attendons pas de lui des recettes pour l'activité charitable, mais prions pour que, de tous les travaux des experts en ce domaine, de tous les vœux des Évêques, surgissent seulement trois lignes. Trois lignes pour réhabiliter la notion de la Charité. Enseignement d'abord. L'application suivra d'elle‑même. Ces trois lignes porteront fruit dans les Séminaires demain, et chez les fidèles après‑demain. Un tel fruit, cela mérite 50 ans de maturité et de patience.

L'heure n'est‑elle pas proche pour ce réveil de la Charité. Pour un réveil en réaction. Pour un réveil si prophétique que les générations de l'atome à leur tour chercheront à s'adapter à cette Charité qui aura su les précéder.

Jean RODHAIN

prêtre

prélat de Sa Sainteté

Secrétaire Général du Secours Catholique

 

[1] Réédité partiellement dans : « La charité d'un concile à l'autre », Messages du Secours Catholique, n° 123, octobre 1962, p. 5; 8-9.

[2] Le Mont‑Cenis, son tunnel, par A. Duluc ‑ Herman éditeur, page 125.

[3] Certains Evêques français ont utilisé le bateau de Marseille à Civitta‑Vecchia. Puis un train de la ligne pontificale Civitta‑Vecchia à Rome.

[4] Mgr J.A. Foulon, Archevêque de Lyon ‑ Histoire de la Vie et des Œuvres de Mgr Darboy ‑ Extrait p. 443 ‑I Q ‑ Paris, Librairie Poussielgue Frères, 1889.

 

[5] Voir le volume de Louis Armand et Michel Draucourt "Plaidoyer pour l'avenir", où cette "rupture" de rythme au milieu du XIXèrne siècle est chiffrée avec précision et commentée sous l'angle technique. (l volume. 254 pages ‑ Calmann Lévy).

[6] "L'Église fait aujourd'hui ce qu'on pourrait appeler l'expérience physique de son universalité. Nous y croyions jusqu'ici, nous la proclamions dans notre Credo ; désormais, par le fait de causes multiples, nous la "réalisons" sensiblement. Des peuples lointains, qui n'étaient pour nous qu'un nom sur une carte, une expression dans notre mémoire, prennent souvent un visage et deviennent tout proches: c'était un pays , ce sont maintenant des hommes. Nous comprenons brusquement et brutalement ce que cela veut dire, que le Christ est le roi de l'univers , car cet univers est là, sous nos yeux. Mais, en même temps, l'Eglise mesure avec une sorte de stupeur les limites effectives de ce règne : Harti, Goa, le Katanga, Koweit ne sont plus         de simples idées, ce sont des hommes pour qui le Christ est mort, et cependant, tout près de nous, à nos côtés, nous éprouvons que le Christ est absent ! Voilà l'âme du Concile." Mgr Garrone (Extrait de "Informations Catholiques Internationales" N° 161 ‑ 1/2/1962.

[7] Discours de Mgr de Solages à la rentrée de l'Institut Catholique de Toulouse ‑ 7.11.61.

[8] Abbé Breuil.

[9] Paul Marie de la Croix 0.C.D. Méditation du Pater – p. 129.

[10] Teilhard de Chardin ‑ Le milieu divin.

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