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Au balcon de la Tour

04 septembre 2017
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Jean RODHAIN, « Au balcon de la Tour », Messages du Secours Catholique, n° 211, septembre 1970, p. 2.

Au balcon de la Tour

Au balcon de la Tour Eiffel j'avais, l'an dernier, conduit ma jeune nièce Candide. Appuyée à la balustrade, elle observait la circulation dans Paris. Elle repérait les embouteillages : ils l'intéressaient plus que les monuments. A la descente, j'eus droit à un discours - fleuve de ma brillante nièce.

Ces embouteillages lui semblaient offenser visiblement la vertu de justice.

Candide était choquée par cette énorme Mercedes tenant autant de place que trois 2 CV. Cette Mercedes n'est occupée que par une seule dame élégante tandis que 43 personnes sont comprimées dans l'autobus 92. Un tel dispose de deux voitures personnelles tandis que des milliers ne disposent que du métro. C'est injuste, déclare Candide.

Le Sacré-Coeur et Notre-Dame s'étalent sur une surface considérable, alors que vingt rues étroites sont des pièges à voitures. Et voici… on les voit parfaitement depuis la Tour Eiffel… trois hôpitaux remplis de piétons innocents, victimes d'accidents de la circulation. C'est intolérable. Cela ne peut pas durer. C'est contraire à la Justice. Et la jeune Candide prépare une proclamation : « Les moyens actuels sont impuissants. Les structures sont coupables : Police, Pouvoir, Finances, et aussi Église. Il faut tout changer. Et seule la méthode violente sera efficace. Il ne s'agit pas de réforme, mais d'une révolution s'attaquant aux institutions afin que, dans Paris, qu'il s'agisse de circulation ou de moyens de transports, règne enfin la Justice. »

Candide ne songe pas à ceux qui sont à l'œuvre jour et nuit. Elle ne voit pas l'agent qui peine au carrefour, ni le camionneur-livreur travaillant en sa rue étroite, ni le chirurgien soignant l'accidenté à l'hôpital, ni les ingénieurs penchés sur le problème du trafic. Non, Candide ne regarde pas la réalité : Candide avait alors une démangeaison de Justice.

Cette démangeaison ne m'inquiète pas. Au contraire. C'est un bon signe. Plus tard, une fois ses illusions simplistes tombées, Candide restera attentive aux problèmes sociaux. Je me garde bien de tourner ma nièce en ridicule...

Cet été, j'ai retrouvé ma nièce Candide inchangée. Mais au lieu de se limiter à la circulation automobile dans Paris, elle s'est embarquée dans les problèmes Internationaux. Je la suis mal. Mon cerveau, toujours très lent à comprendre, me présente la mappemonde comme mille fois plus complexe que Paris. A force de voyager aux quatre coins du monde, j'avais enregistré certaines évidences : nul ne sait modifier la mousson qui conditionne les moissons aux Indes. Personne ne peut en un instant changer le climat d'un continent ni les traditions millénaires des paysans de la Cordillère des Andes. L'opium se vend très cher et le café surabondant est jeté à la mer. Ici on manque de pain et là on jette à la voirie les fruits par milliers de tonnes. Je le sais.

Tout cela est douloureux comme l'histoire de l'humanité. Tout cela est d'une complexité telle que l'horloger le plus expert reculerait avant d'oser toucher à ce mécanisme mondial.

Il n'y a que ma douce nièce pour trancher intrépidement dans la mappemonde. Elle juge. Elle prévoit. Elle supprime d'un trait de plume la pluie, les vents et les civilisations.

Au nom de la Justice, elle va détruire les structures afin que chaque homme noir, jaune ou blanc, ait son standing égal. J'en suis ravi. Je voudrais seulement que Candide, avant toute destruction, me présente un Pays-type, où a déjà été réalisé son prototype d'humanité heureuse dans une justice instaurée.

Je me garde de contredire ma charmante nièce. Son ouverture aux problèmes du Tiers-Monde la conduira un jour - malgré l'extrême complexité du problème - à travailler aux réformes exigées par Populorum Progressio.

On ne dénoncera jamais assez aux chrétiens ce drame des deux mondes, l'un confortable et l'autre sans pain et sans travail. Au fond de mon cœur, je suis ravi de découvrir dans ma propre famille ce jeune enthousiasme pour un chantier qui a tant besoin d'ouvriers convaincus... Deo gratias.

Hier soir, patatras. Candide, ma nièce, de son air le plus « candide » qui soit, a déposé sur mon bureau une bombe. Cette bombe est un volume de 270 pages. Il contient une première partie excellente. Cent cinquante pages analysant les dimensions socio-économiques de la pauvreté mondiale. C'est inspiré du R.P. Lebret et transposé en 1970, avec exactitude et clarté. C'est un modèle de présentation du problème.

La deuxième partie, après avoir balayé en vingt lignes tout le travail actuel, traite de la « révolution nécessaire ».

Autant la première partie était précise, autant celle-ci est ambiguë. On ne sait pas jusqu'où l'auteur recommande le recours à la violence.

La troisième partie n'est qu'un savant dosage de textes bien choisis sur la pauvreté théorique, et d'invectives contre l'Église catholique romaine, cible unique des trois derniers chapitres.

On s'attend logiquement à une conclusion atomique. Mais l'auteur termine sur une pirouette en s'abritant derrière un texte amphigourique. Cette bombe n'est plus qu'un pétard mouillé.

Ce volume va polariser les aspirations de multiples jeunes. Mais en même temps, il détournera ces jeunes des travaux précis. Il les prédisposera aux contestations les plus vaines et les plus anarchiques.

Voilà pourquoi, lorsque, en face d'un problème aussi grave, on diffuse des pages aussi ambiguës, je crie mon désaccord : il y aura des jeunes qui seront intoxiqués par ce volume[1] si bien commencé et si maladroitement terminé.

SIDOINE.

 

 

[1] Révolution des Pauvres et Evangile, par Jean Cordat.

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