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Rapport d’adieu de Mgr Rodhain

15 février 2013
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"Rapport d’adieu de Mgr Rodhain", L’Osservatore Romano, édition française, n°21 (1171), 26 mai 1972, pp.2 ;11.

Rapport d’adieu de Mgr Rodhain

On prétend qu’un individu condamné à la pendaison, lorsqu’il se balance au bout de sa corde, revoit, avant son dernier soupir, en un raccourci instantané toute sa vie passée. Je n’ai pas l’expérience de la pendaison - pas encore - mais arrivé au dernier instant du mandat que vous m’avez confié, je revois en un raccourci instantané au-dessus de mon petit horizon, mes six années écoulées parmi vous.

Je ne ferai ce soir ni un examen de conscience de Caritas Internationalis, ni une interrogation sur son avenir : S. Exc. Mgr Benelli vous a présenté l’un et l’autre hier soir.

Je ne décrirai pas l’évolution de Caritas Internationalis. Elles ne sont pas si lointaines ces assemblées générales où l’on n’entendait parler que de l’Europe... Les rapports présentés ce matin par l’Asie, l’Afrique et l’Amérique du Sud marquent le chemin parcouru.

Je n’évoquerai pas les points de fermentation de vos pensées et de vos projets : vos groupes de travail s’en sont chargés.

Je me limiterai donc à évoquer les deux ou trois souvenirs qui m’obsèdent pour l’instant.

Premier point : la lettre du Cardinal Roy

Cette lettre, certaines Caritas l’ont méditée méthodiquement. D’autres Caritas se proposent de l’étudier.

Toutes ont été frappées par l’énumération si détaillée des misères nouvelles créées par le progrès.

Toutes ont mesuré les dimensions nouvelles du développement et la place de la politique que cette lettre propose à notre attention.

Ce document infléchira certainement les activités des Caritas dans les années à venir. Ce document tire sa force d’une pensée formulée d’une manière claire et précise. Imaginons que, parallèlement à cette lettre, un autre document pontifical soit un jour publié sur l’activité charitable.

Un document qui préciserait l’enracinement théologique de la charité.

Un document qui établirait les rapports de la charité avec la justice, avec le développement, avec la paix.

Un document, enfin, qui aborderait les applications pratiques à l’époque actuelle de la charité de l’Église, témoignage continuel de l’Évangile dans le monde.

Un tel document serait opportun. Car si les textes du Concile sur la charité sont si nombreux qu’on a pu en éditer une anthologie, il nous manque actuellement un texte, une pensée précise et claire sur la charité.

Deuxième point : la présence

Au dernier Synode, un laïc japonais a souligné la présence extraordinaire de l’Église :

« L’Église est le seul organisme mondial présent à tous les niveaux de la société mondiale. Elle est présente au niveau de la paroisse, de la communauté, au niveau local, national et régional. Elle est également présente au niveau international et diplomatique. Si, pour utiliser une expression de Nicolas de Cuse, l’Église peut être ce complexe d’oppositions comptant dans ses rangs prophètes et diplomates, combattants pour la libération et pacificateurs, elle aurait un rôle privilégié à remplir comme catalyseur d’un changement social non violent à l’échelle mondiale. »

0n pourrait d’une certaine manière transposer ce texte à Caritas Internationalis.

Avec Mgr Hüssler, quand nous visitions en des heures tragiques les provinces du Nigeria et du Biafra, nous étions successivement en contact avec les villages de brousse, avec l’évêché, avec l’état-major de l’armée, avec le chef de l’État, le général Gowon : partout, d’une manière ou d’une autre, on retrouverait une présence de la charité évangélique.

Il y a peu de temps, à Dacca, l’accueil que j’ai reçu aussi bien du Président de la République du Bangladesh que de Mujimur Rahman m’a confirmé dans les possibilités de cette présence.

La place que pourrait tenir Caritas Internationalis à tous les niveaux, si elle s’ouvre de plus en plus à la présence dans la politique internationale, serait considérable. C’est une présence dont le prix est incalculable. Elle résultera des efforts concordants de chacun...

Troisième point : le fleuve souterrain

Dans une région déshéritée du Tiers Monde, un de mes amis promu à l’épiscopat découvre la pauvreté de son diocèse. Non seulement il n’existe ni cathédrale ni séminaire mais il n’y a pas d’évêché, pas de secrétariat. Cet évêque réunit ses quelques prêtres en conseil et ce conseil unanime lui demande de partir en Europe, aux États-Unis, au Canada et de quêter - pendant un an s’il le faut - pour trouver de quoi équiper au moins un secrétariat.

J’avoue qu’après avoir lu cette lettre j’ai fait un rêve : j’ai rêvé qu’autour d’une table se réunissaient aussitôt Misereor, C.I.D.S.E., Adveniat, la Propagande et Caritas Internationalis. J’ai rêvé qu’après vingt minutes seulement cette table ronde télégraphiait à l’évêque de rester chez lui parce que son budget était bouclé par un concours unanime. La présence continue du pasteur au milieu de son troupeau est plus précieuse qu’un chèque de cent mille dollars.

J’ai eu tort de rêver, je l’avoue, car même à l’échelle d’un seul diocèse perdu dans la montagne, ces problèmes de coordination vont se résoudre - je l’espère - depuis la création de Cor Unum.

Je sais aussi que la coordination n’est pas le seul but de la création de ce Conseil Pontifical. S’il ne s’était agi que de coordonner les organismes existants, il aurait suffi d’une table ronde. Présidée par une autorité, elle aurait réuni, pour les harmoniser, toutes les institutions spécialisées dans l’action caritative en général ou plus spécialement dans le développement.
Or dans l’énumération des entités concernées par Cor Unum, certes ces organismes sont nommés, mais au troisième rang seulement. Dès son premier paragraphe, la Lettre de Paul VI déclare que sont concernés par cette fondation - en union avec le Pontife romain d’abord les ministères de la Curie romaine, ensuite les évêques du monde entier. Les organismes charitables ne sont nommés qu’après. Et par trois fois (§ 1, § 4, § 6) il est rappelé que c’est tout « le Peuple de Dieu » qui est concerné par cette fondation.

Nous sommes donc fort loin d’un bureau de coordination d’œuvres. C’est un appel à toute l’Église pour la réhabilitation de l’action caritative aux dimensions modernes.

Pour s’en convaincre il suffit de rapprocher deux déclarations de Paul VI :

« Nous voulons donner à nos institutions caritatives un nouveau développement contre la faim du monde et en faveur de ses principaux besoins. »

« Nous avons l’intention de créer un organisme nouveau du Saint-Siège dont l’objet sera de faciliter une meilleure coordination ainsi qu’un plus ample et plus intense développement de l’activité charitable de l’Église dans le monde. »

La première, déclaration est extraite du discours de Paul VI devant l’O.N.U., le 4 octobre 1965.

La deuxième déclaration est prise dans la lettre de Paul VI instituant en juillet 1971 Cor Unum.

A sept ans d’intervalle, c’est la même continuité d’orientation : la réhabilitation de l’action charitable.

Un spécialiste de la musique sait qu’il existe au fond de l’âme humaine une certaine prédisposition à la mélodie - pas à n’importe laquelle.

Il sait aussi qu’il existe dans le peuple tout entier une résonance à certains rythmes, pas n’importe lesquels .

Cette constante explique les succès permanents à travers les siècles de certains modes comme le mode grégorien.

Elle explique aussi l’insuccès des inventions artificielles qui ne durent pas.
Je finis pas croire qu’il en est de même de la charité. Elle coule invisiblement comme un fleuve souterrain dans les profondeurs du peuple de Dieu.

Certains, une clef anglaise à la main, s’agitent pour boulonner sans cesse de nouvelles structures comme si le Créateur les avait embauchés ès-techniciens de la Création. C’est une vocation. Il y a d’autres vocations. Une conférence épiscopale déclarait récemment qu’au lieu de bâtir des structures, il importait, par la recherche de l’Esprit-Saint, de faire jaillir les sources .

Après six années de tâtonnements, au moment de vous remercier tous de grand cœur pour la confiance et l’aide que vous m’avez témoignés, mon dernier mot est celui-là : « Je crois à ce fleuve souterrain de la Charité ».

Jean RODHAIN
(Rome, 10 mai 1972)

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