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Un jardinier ne bouscule pas le grain semé

06 novembre 2012
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Jean RODHAIN, "Un jardinier ne bouscule pas le grain semé", MSC, n° 228, mars 1972, pp. 1-2.

Un jardinier ne bouscule pas le grain semé

Un abonné inquiet m’envoie quatre pages de conseils : d’après lui « Messages » devrait amener ses lecteurs à se donner davantage en devenant un journal plus persuasif, plus véhément, et plus violent.

Voilà un conseil que nous ne suivrons certainement pas.

Le Français n’aime pas - et il a raison - être enrégimenté ou bousculé.

La speakerine qui annonce une marque de lessive peut se faire persuasive et pressante. Au contraire, l’action charitable est un domaine secret et discret où la liberté de chacun doit être totalement respectée.

La réalité de la misère suffit à mettre chacun en face d’un choix qu’il reste libre de faire. Et le rôle de « Messages » est d’exposer au grand jour cette réalité. Et plus précisément de faire deviner les divers aspects d’une réalité qui n’est jamais simple.

Ainsi, le mois dernier « Messages » a consacré une page entière aux sortants de prison. Il faut les accueillir : très bien pour eux.

Mais pour être honnête, il faut regarder tous les aspects de la question : ces individus ne sont pas des solitaires revenant d’un voyage dans une lune déserte. Ils ont tous fait un tort à quelques-uns : c’est l’autre face de la médaille.

Parlons-en donc, par souci d’exactitude.

Celui-ci sort de prison pour avoir, conduisant en état d’ébriété, écrasé un passant. Donc, après six mois à Fresnes, il sort. Mais la famille de l’écrasé ne s’en sort pas. Il reste une veuve avec deux petits enfants. L’assurance verse une indemnité. Mais la veuve reste veuve. Il y a un grand vide dans l’appartement et deux orphelins à élever, c’est une charge. La justice a frappé. Mais elle n’a rien résolu. on ne remplace pas un mort.

Cet escroc a été durement et justement condamné à cinq ans de réclusion. Il sort de la prison centrale de Poissy. Il faut l’aider à oublier ce milieu oxydant de la réclusion et à se réinsérer dans la vie.

D’accord.

Mais cet escroc était un spécialiste des vieillards. Devant le tribunal il a avoué un minimum de 63 personnes âgées qu’il a totalement dépouillées de leurs économies. Alors, pour être arithmétiquement juste, je dois parler non seulement de cet individu sorti de prison, mais aussi de ces vieillards au nombre de 63 qui sont entrés par lui, et définitivement, dans la prison de la misère.

Cette sombre mégère a été libérée hier soir. Deux années à la Centrale de Rennes l’ont un peu amaigrie. Il est souhaitable qu’on lui procure un emploi.

Mais il faudra l’employer ailleurs que dans une école maternelle : car cette mégère a martyrisé ses trois enfants. Tous souffrent encore des séquelles d’une longue sous-alimentation et l’aîné dont sa mère a brûlé les deux petites jambes au fer rouge restera infirme pour le reste de ses jours : c’est plus long que deux ans de prison.

Devant ce tableau des victimes, vous me direz que les responsabilités sont partagées : ce piéton écrasé aurait dû faire davantage attention en traversant la grand’rue. Ces vieillards auraient dû placer leurs économies à la Caisse d’Épargne et non pas les conserver dans la pile de draps de leur armoire. Je le concède.

Mais ces gosses de 6 mois ou de 3 ans, quelle est leur responsabilité ? Que pouvaient-ils faire ?

Chaque année en France les tribunaux sont appelés à juger 2.500 affaires d’enfants-martyrs. Et si on comptait les cas échappant à la justice, il faudrait aller jusqu’au delà de 20.000.

Ici, c’est l’innocence qui crie vers nous, exactement comme dans les monts de Rama s’élevaient les cris du Massacre des Innocents à l’aube de la Rédemption (Matthieu 2, 18).

Dans le quartier de Montconseil à Corbeil, des parents monstrueux, les D. laissaient mourir de faim leurs petits : Claude 7 ans, Christian 5 ans, Myriam 4 ans, et William 1 an. Hormis le petit William, nourri d’eau sucrée, mais laissé sans soin dans son berceau, les trois autres enfants en étaient réduits à faire les poubelles du quartier pour survivre. Enfin les gendarmes vinrent et les parents furent écroués. Le journal local relate ceci en première page avec comme titre : « Enfin les parents indignes sous les verrous » et comme finale cette phrase concluante : « Justice sera faite ».

Justice sera faite ? Qu’est-ce que cela veut dire ?

Le souci d’une Justice régnant sur tout l’univers est heureusement devenu une caractéristique de la génération actuelle. Deo gratias.

Mais la Justice est autre chose qu’un slogan : le public se figure facilement que dès que le mot Justice est employé, automatiquement tout devient justement réglé. Exactement réglé. Comme une juste balance exactement en équilibre.

Or, en cette affaire, je vois bien la justice punitive (qui n’est qu’un aspect de la justice) s’exercer contre les monstrueux parents.

Mais la justice distributive (qui est un autre aspect de la justice), que va-t-elle faire pour Claude 7 ans ? Pour Christian 5 ans, pour Myriam 4 ans et pour le charmant William 1 an ? Ils auront une juste ration dans un établissement de l’Assistance Publique. Et ensuite, quoi ?

S’il s’agissait de vos propres enfants, cela vous suffirait-il ?

La situation de ces 4 enfants hier était injuste. Et demain ces enfants sans parents seront dans des conditions inégales par rapport aux enfants d’une famille normale. Ils resteront en situation in-juste.

« Justice sera faite », proclamait le journal. C’est archi-faux : ces enfants sont en pleine injustice.

Les événements des prisons de Toul ou Nancy ont fait écrire des pages et des pages sur les réformes indispensables à apporter au régime pénitentiaire.
Mais je n’ai pas vu une seule page sur les victimes silencieuses de ceux qui sont en prison.

C’est le rôle justement du Secours Catholique d’exposer tous les aspects d’une misère, et surtout ceux dont on parle le moins.

On fait confiance à chacun, ensuite.

Un bon jardinier fait confiance à la bonne terre. Il n’arrache pas les racines pour vérifier si elles poussent assez vite.

Jean RODHAIN

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