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Madeleine Delbrêl

22 octobre 2014
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Au colloque du cinquantième anniversaire de la mort de Madeleine Delbrêl, Mgr Gérard Defois, président de la Fondation Jean-Rodhain, rend compte de la profonde actualité de Madeleine.

Colloque théologique international « Madeleine Delbrêl »

Institut catholique de Paris.
17-18 octobre 2014.

L’Église qui est en France vient de vivre depuis plusieurs années une campagne de réflexion sur les « pauvres et leur place dans les communautés chrétiennes » : servons la fraternité en était le slogan. La Fondation Jean Rodhain créée par le fondateur du Secours catholique français qui a généré de nombreuses caritas a provoqué deux colloques et des publications interdisciplinaires à ce sujet, elle tient à jour un site informatique qui réunit des travaux de toutes origines sur les thèmes de la solidarité et de l’écoute de la parole des pauvres. A ce titre nous pensons indispensable de recevoir les apports de Madeleine Delbrêl et de ses commentateurs, comme un éclairage de nos champs de travail et de publication actuels.

Ainsi il me semble utile de retenir ce que Madeleine ouvre comme perspectives à l’action humanitaire et caritative : elle propose une lecture des pauvretés de son entourage ouvrier de Ivry, elle s’engage en tant que chrétienne dans une action d’évangélisation de ce monde qui naît au lendemain de la seconde guerre mondiale ; ce qui appelle une approche différente par rapport à ce que nous connaissons aujourd’hui. Dans son livre : « Nous autres gens des rues », elle propose une analyse très suggestive des situations de pauvretés collectives qu’elle a côtoyées en banlieue.
Elle constate, mais aussi elle explique, ce que l’économie libérale engendre comme désespérance et elle remet en question des comportements résignés à la fatalité. De plus, elle précise d’emblée : « La pauvreté ouvrière n’est pas seulement économique…Être pauvre, c’est sans doute manquer du nécessaire à la vie, mais c’est aussi manquer du nécessaire pour vivre un vie humaine…La pauvreté qui est née de l’ère industrielle, et qui continue à y grandir, est une privation de ce qu’il faut pour vivre en homme. »

Sa lecture des situations de pauvreté se fait donc culturelle et spirituelle dans un même mouvement, se référant à la personne et à sa conscience ; et ceci dans le prolongement des contraintes économiques imposées par l’ordre social du temps. Elle dénonce le mépris dans lequel l’ouvrier est nié comme personne, reconnu uniquement comme fonction et instrument de production : « à l’atelier l’homme se sent moins visible que la machine. » Comment ne pas évoquer ici Pie XI disant dans l’encyclique Quadragesimo anno : « la matière sort anoblie de l’atelier tandis que l’ouvrier s’y dégrade. »
Alors l ‘assistante sociale prend la mesure de la dimension sociale, collective et institutionnelle de la pauvreté en matière de logement, de culture et de scolarisation, de salaire et de moyens de vivre : « quand la faim est devenue une vraie faim, la menace sur la vie une vraie menace, un mouvement ouvrier est irrésistible. », note-t-elle,. Elle rencontre ainsi les luttes collectives du prolétariat et l’importance dans les esprits de l’action communiste comme reconquête de la place des ouvriers dans la société.

Elle est sensible à leur athéisme marxiste et à leur violence politique, mais elle notera encore : « S’il y a une violence liée à telle ou telle révolution sociale, il ne faut pas que son hypothèse nous fasse oublier la violence acquise, chaotique, organique, qui broie actuellement une foule de vies humaines sous le pressoir. » L’appauvrissement est un engrenage et non seulement une épreuve exceptionnelle.

Je me suis permis de rappeler ces textes parce que j’ai le sentiment que nous faisons souvent une lecture trop idéaliste de la pauvreté. Ainsi durant les manifestations de Diaconia 2013, nous avons été sensibles à la parole des pauvres ; en un langage simple et proche de l’évangile ils exprimaient des valeurs qui nous émouvaient spirituellement. Mais Madeleine Delbrêl a rencontré des situations d’une pauvreté déshumanisée et d’une violence athée radicalisée. C’est pourquoi, et je pense urgent de le souligner, c’est à partir de son humanisme nourri de prière et d’évangile qu’elle critique la condition faite à la population ouvrière et c’est à partir de sa vie de foi qu’elle fait alliance avec ce peuple méprisé par la société de production industrielle d’alors.

Je citerai ici le Père Bernard Pitaud, lorsqu’il écrit : « Pour Madeleine Delbrêl, la vie chrétienne s’identifie à la charité, la charité puisée au cœur du Dieu vivant, la charité qui est Dieu même. Etre chrétien, c’est « foncer dans un élan de charité », dans « un équilibre étrange » qui ne peut tenir que dans un mouvement, comme sur un vélo . » Son action sociale s’enracine donc dans une vision mystique, mais celle-ci ne peut se dispenser d’une action sociale.
Personnellement, je pense qu’il y a là une source d’inspiration pour nos engagements dans la société et dans l’Église. Durant les années 60 j’ai connu dans les sciences humaines comme en pastorale la séduction d’un marxisme qui nous semblait un réalisme incontournable pour évangéliser le monde, alors que notre formation cléricale nous avait fait regarder notre temps comme évanescent dans la lueur de notre piété des années cinquante ; le marxisme, lui, nous semblait opératoire et totalisant à la fois. Nous nous sommes « convertis au monde » par souci d’y apporter un humanisme supérieur comme preuve du salut, tandis que Madeleine, elle pourtant issue de l’incroyance, trouvait dans la contemplation du mystère chrétien la source d’un autre humanisme, celui du prix de toute personne humaine aux yeux de Dieu. Néanmoins, elle tiendra à manifester son soutien aux prêtres ouvriers, tout en les invitant à courir le risque de la soumission.

De nos jours, dans la société de précaution et de fragiles certitudes, peut-être que une économie éclatée et une culture parcellisée en techniques, le désir de visions réconciliatrices et de relations apaisées nous porte, nous chrétiens, à nous retrouver en des cellules de sécurité morale et de relations conviviales autour de la prière. Heureusement le pape François incarne le souci des périphéries.

Madeleine Delbrêl nous offre ce témoignage particulièrement utile en notre temps, elle fut passionnée par ces périphéries de l’institution ecclésiastique, elle y rencontrait l’altérité de ce monde de souffrance et de négation pour y témoigner de la source de son obéissance, celle qui est essentiellement un lien de fidélité humaine nourrie de la Promesse et de l’Alliance. Elle en rendit compte dans son investissement spirituel et concret tant avec les prêtres ouvriers qu’avec l’entourage du Pape lui-même par Monseigneur Veuillot. Il me semble qu’avec elle nous respirons une vision de l’Église juste, parce que mise en perspective avec l’incarnation du Christ. Ne nous dit-elle pas :
L’Evangile n’est annoncé vraiment que si l’évangélisation reproduit entre le chrétien et les autres le cœur à cœur du chrétien avec le Christ de l’Evangile. Mais rien au monde ne nous donnera la bonté du Christ sinon le Christ lui-même. Rien au monde ne nous donnera l’accès au cœur de notre prochain sinon le fait d’avoir donné au Christ l’accès au nôtre.
C’est bien à ce qu’il me semble, l’esprit de ce colloque. Il permet d’ouvrir une réflexion élargie autour du message de Madeleine Delbrel et de lui donner une autre actualité.

J’ai noté qu’elle nous apporte une dimension spirituelle pour l’action sociale et pour la vie pastorale de l’Église en une époque où l’engagement paraît fragile et même impuissant face à la mondialisation et où la pastorale de la « survie » semble l’emporter malgré nous sur l’ouverture missionnaire. Le Pape François le dit clairement dans son exhortation apostolique « la joie de l’Évangile ». Nous comptons sur notre colloque pour élargir l’espace de nos tentes.

En terminant je soulignerai chez Madeleine Delbrêl sa reprise de la logique de l’incarnation du Christ :

1. Se référant à la primauté de la grâce dans le salut de l’homme l’évangélisation pour elle ne consiste pas à croire en l’homme pour l’offrir au Christ, mais à croire au Christ pour l’offrir à l’homme.

2. Elle invite à regarder le marxisme non en ce qu’il nous apporte mais en ce qui lui manque des valeurs chrétiennes et du salut en Jésus-Christ.

3. La charité pour le pauvre, c’est aussi de lui offrir le Christ et la foi en l’évangile.

4. la pauvreté est la conséquence d’un système économique et des conditions de travail qui sont imposées au prolétariat. Nous devons souligner le caractère systémique de l’injustice sociale.

Mgr Gérard DEFOIS, archevêque évêque émérite de Lille, président de la Fondation Jean Rodhain.

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