Pauvres devant les pauvres
Jean RODHAIN, « Préface », in SECOURS CATHOLIQUE, Les pauvres, ces autres frères séparés, Paris, SOS, 1964, p. 7-8.
Pauvres devant les pauvres
Avouons-le : nous avons les mains vides en face des pauvres d'aujourd'hui.
D'abord parce que les pauvres d'aujourd'hui ne sont plus les mêmes que ceux d'autrefois.
Au XIe siècle, la France n'avait que 6 millions d'habitants. Le Parisien se rendant à Marseille tombait en pleine brousse à partir de ce qui est aujourd'hui la rue du Bac, et pendant mille kilomètres ce n'étaient que marécages et forêts inhabités. Le voyageur rencontrait un lépreux ou un malheureux par-ci par-là : le pauvre rencontré était un homme isolé.
En 1964, Paris est à 4 heures de Ouagadougou. L'Afrique est proche. Donc l'Africain est mon prochain. Chacun est en présence des peuples de la faim... Chacun découvre une pauvreté étendue à des centaines de millions d'hommes.
Et ces nations non-chrétiennes, depuis leur misère regardent nos nations chrétiennes si confortables. Alors nous nous sentons, à notre tour, devant elles, devant Dieu et devant notre conscience, de très pauvres instruments.
Ensuite, nous hésitons devant le « Service des pauvres ».
En face du pauvre infirme, le premier Pape proclamait : « Je n'ai ni or, ni argent, mais ce que j'ai je te le donne » (Actes III, 1 à 10). Et le pauvre fut transformé.
Nous n'avons ni or, ni argent, et ce qu'avait Pierre nous ne l'avons plus. Même en l’obtenant, nous ne saurions le donner correctement : nous avons les mains paralysées.
Nous savons qu'il faut réformer les institutions. Les Encycliques des Papes sont à l'avant-garde de la justice sociale, mais dans ce monde si contaminé par un marxisme inconscient où mille et mille professeurs de sociologie nous observent, les chrétiens ont tellement peur de paraître retardataires qu'ils n'osent plus « servir humblement les pauvres ».
Non, ce ne sont pas nos mains qui sont paralysées, c'est notre cerveau. Nous ne croyons plus à la Charité. Et si nous y croyons avec le cœur, nous hésitons à la traduire en des gestes modernes et adaptés aux institutions d'aujourd'hui et de demain.
Nous avons les mains vides parce que nous avons les idées vides.
Nous sommes « pauvres devant les Pauvres ».
Au Concile, comme un bruit de fond, s'est élevée la plainte des pasteurs évoquant leurs fidèles sans toit, sans travail, sans pain.
La visite immédiate de Jean XXIII aux prisonniers, le pèlerinage de Paul VI sans sedia ni gardes-nobles, parmi le peuple de Jérusalem, ont rappelé que l'Église est d'abord l'Église des Pauvres. On le répète désormais sur tous les tons.
Mais quels Pauvres ? Quelle pauvreté ? et quoi faire ?
Pour avancer dans cette recherche, voici quelques textes et quelques questions.
Tel est le but de ce volume.
Jean RODHAIN