Eucharistie et pain partagé
"Eucharistie et pain partagé", La France Catholique, 8 avril 1966.
Eucharistie et pain partagé
« Le Christ, c’est le pain partagé ». Un théologien dira avec raison que cette formule trop elliptique est ambiguë et prête à confusion. C’est vrai. Mais cette formule fait image et signifie le lien entre Eucharistie et Charité, entre le pain consacré, présence du Christ, et le pain partagé, symbole de charité fraternelle.
Ce lien, comme la Charité elle même, est un Mystère.
Ce lien entre l’Eucharistie et l’amour du prochain sera exposé au Congrès eucharistique de Bordeaux en de magistrales conférences.
Et la journée de clôture, le jeudi 4 avril, essayera de traduire cet enseignement doctrinal par des signes.
Au Congrès eucharistique international de Munich, en 1960, une journée entière était consacrée à des « Agapes ». Aux quatre coins de la ville les évêques présents servaient des repas aux aveugles, aux infirmes, aux prisonniers. Le Congrès de Bordeaux a repris la formule sous une forme d’une extrême discrétion. C’est chacun des congressistes qui est invité à trouver une manière personnelle de « servir les plus pauvres » ce jour là.
Il y aura donc des initiatives inattendues. Il y aura des gestes simples et à l’échelle du quartier. Il y aura des suggestions pratiques. Il sera intéressant de faire ensuite l’inventaire de ce que l’ingéniosité populaire aura su inventer. La liturgie s’enrichit souvent d’initiatives locales. Et ici nous sommes dans un secteur où rien n’est encore codifié. Le signe du pain partagé cherche son mode d’expression adapté à nos mœurs modernes. C’est l’heure d’inventer. Et si on me trouve trop hardi, je me réfère à un exemple récent, et venu d’assez haut.
A l’heure solennelle de la clôture du Concile, les missions diplomatiques et les 2.200 Pères du Concile rassemblés sur la place Saint Pierre reçurent chacun le missel du jour imprimé par la typographie vaticane. Dans le texte, ils découvrirent une rubrique inattendue :
« Après l’oraison des fidèles en latin et en grec, le Saint¬-Père, qui rappelait aux Nations Unies le 4 octobre dernier le grave devoir de la grande famille humaine de venir au secours des moins favorisés de ses membres, remet un chèque à cinq évêques de Palestine, Argentine, Inde du Sud, Pakistan et Cambodge. Cette aide apportée au moment même de l’offertoire de la messe veut être le symbole de la Charité de l’Église tout entière unie autour du Pape. »
Sous la forme de chèque en dollars, c’était la transposition liturgique du pain bénit d’autrefois.
Ainsi après les enseignements doctrinaux du Concile, voici un signe parlant, un signe simple, un signe évocateur adapté à nos mentalités de 1966.
Nos mentalités de 1966 sont opportunément obsédées par le « développement » des pays sous développés. « Développement » est un mot passe partout que personne n’a exactement défini, mais qui est à la mode. Et dans ce désir imprécis, il y a des aspirations excellentes chez de multiples chrétiens. Le tout est de ne pas se payer de mots.
Il faudrait améliorer le rendement du blé à l’hectare.
Voyez pour cela Messieurs les agronomes, c’est leur affaire.
Il faudrait élever le niveau de vie ?... Voyez Messieurs les économistes, c’est de leur compétence.
Il faudrait enseigner les soins maternels et l’hygiène des nouveau nés... Voyez Mesdames les assistantes sociales, c’est leur spécialité.
On ne dira jamais assez l’importance des spécialistes pour faire avancer l’humanité entière sur la route du progrès.
Mais, à côté de la route, il existe aussi d’humbles chemins.
Il faudrait passer la nuit près de cet agonisant inquiet, ou visiter ce prisonnier sans visites, ou écouter cet homme dont tout le monde se détourne.
Alors, ici ce n’est plus la spécialité de l’agronome, ni de l’économiste. Ce choix des plus pauvres, ce service des âmes les plus abandonnées, c’est un chemin secret. C’est un chemin ouvert à celui qui veut écouter autre chose que le tapage de ce monde et donner quelque chose « par surcroît ». C’est un chemin où il reconnaîtra les visages véritables des véritables pauvres : ces visages que les larmes et les souffrances ont peu à peu rendus transparents.
Et, au bout de ce chemin là, qui s’appelle le Chemin d’Emmaüs, et à travers ces visages là, c’est un Autre Visage que vous rencontrerez : la Joie de Pâques, c’est en servant les plus abandonnés, le vrai visage du Christ finalement entrevu.
Au lendemain de Pâques, la journée du Pain partagé, c’est à Bordeaux la journée de cette humble recherche.