Le carnet de Sidoine
Jean RODHAIN, « Le carnet de Sidoine », Messages du Secours Catholique, n° 208, mai 1970, p. 2.
Le carnet de Sidoine
Question 1
Dans notre paroisse, nous avons une intense activité charitable qui se solde à la fin de l'année pour un bilan remarquable. Mais nous sommes écrasés par les dimensions de la misère et chaque réunion se termine dans une demi-angoisse. Qu'en pensez-vous ?
Réponse :
- Je pense que vous faites fausse route. J'aimerais mieux une activité moins intense, mais un sourire plus fréquent. Je préfèrerais un bilan moins remarquable, mais une angoisse remplacée par une confiance. La véritable charité n'a rien à voir avec les tristes visages ni avec les crampes complexées. Si le Secours Catholique prenait un jour cette figure d'enterrement, il faudrait aussitôt l'enterrer.
Question 2
- J’ai lu dans « Messages » (mars 1970, page 15) la lettre d'une religieuse citant l'avis d'un comité de quartier qui souhaite voir les enfants s'intéresser au Tiers Monde, mais qui ne veut ni de collecte ni de questions d'argent. Et la religieuse approuve en déclarant que « l'éducation a ses exigences ». Qu'en pense Sidoine ?
Réponse :
- Sidoine pense que cette bonne religieuse doit être remerciée pour avoir bien voulu nous confier ses réflexions. Mais Sidoine pense que ces réflexions sonnent faux. Un éducateur n'est pas chargé de suivre et d'approuver, mais de conduire. La première exigence du berger est de conduire son troupeau. Cela n'empêche pas d'être à l'écoute. Mais s'il suffisait d'écouter et de suivre, il n'y aurait plus besoin de berger, ni d'éducateur. La dernière brebis bêlante suffirait...
Si, pour le Tiers Monde, l'aide n'est qu'en paroles, si pour les pays de la faim la participation ne se traduit pas concrètement, il ne restera que du vent. C'est très facile de déclarer qu'il n’est plus question d'argent : sans argent, personne - même une religieuse - ne peut subsister un jour de plus. Sans argent, le plus généreux des militants ne peut entreprendre un voyage pour aller travailler dans le Tiers Monde. La minuscule somme d'argent donnée par la veuve a provoqué le cri d'admiration du Seigneur (Marc XII, 41-44). Seuls les anges peuvent négliger cet aspect du travail et agir sans argent. Mais qui veut faire l'ange...
Question 3
Je lis qu'un congrès catholique s'est terminé par une motion condamnant les atteintes à la liberté de la personne humaine. Je trouve ça très bien. Cette condamnation est précise puisqu'elle énumère la liste des pays où cette liberté de vivre, de croire et d'écrire est jugulée. Mais dans cette liste ne figurent ni la Russie, ni la Chine. Je trouve ça moins bien. Et ce papier semble patronné par de hautes autorités ecclésiastiques. Je trouve ça moins que bien. Qu'en pense Sidoine ?
Réponse :
Primo : je suis pour cette condamnation.
Secundo : je ne suis pour qu'à la condition qu'elle soit juste, c’est-à-dire qu'elle n'ait pas peur de nommer tous les pays où il y a des abus, et donc aussi la Russie et la Chine.
Tertio : C'est l'avantage de Sidoine, qui n'étant ni autorité, ni ecclésiastique, mais simple sacristain, peut se permettre, sans compromettre personne, de dire tout cru ce qu'il pense.
Question 4
- La date du 16 avril marque le sauvetage des trois astronautes en péril. J'espère bien que « Messages » va consacrer un article pour célébrer ce jour mémorable.
Réponse :
Deo gratias pour ce sauvetage mémorable. Nous, nous applaudissons de tout cœur au courage des trois astronautes et de leurs trois familles. Mais si nous devions consacrer un article à cette journée, nous évoquerions surtout les soixante-dix familles des enfants du sanatorium d'Assy qu'aucun progrès technique n'a réussi à sauver. Les trois astronautes font avancer la science : ils en acceptent volontairement les risques. Ni les soixante-dix enfants ni leurs familles n'ont jamais accepté d'avance le risque de cette disparition brutale dans la nuit. Une messe est célébrée chaque lundi à 12 h 30 dans la chapelle Saint-Laurent, 106, rue du Bac, pour toutes ces victimes de la route, de la montagne et de toutes les catastrophes.