Mgr Rodhain, précurseur de la diaconie
De sa propre ordination diaconale à Noël 1923, il avait gardé une forte impression, déterminante pour toute son existence. En matière de diaconie et de diaconat, Jean Rodhain est assurément un précurseur !
Article paru sous le titre "Mgr Rodhain et la diaconie", Cahiers de l’atelier, n° 530, juillet-septembre 2011, pp. 38-43.
Mgr Rodhain, précurseur de la diaconie
Jean Rodhain (1900-1977) est le génial créateur du Secours catholique. L’étonnant est que dès la fondation en 1946, il a voulu créer non une œuvre caritative en plus, mais un service d’harmonisation, en quelque sorte la « diaconie de l’Église de France ». Si l’expression comme telle serait anachronique, Jean Rodhain a dès le départ désigné le Secours catholique comme tenant « le rôle des diacres de l’Église primitive [1] ». Ainsi, pour comprendre sa manière de penser, il faut toujours considérer « les diacres » au pluriel. Et à une époque où le diaconat n’est qu’une étape vers le presbytérat, l’expression « les diacres » peut désigner les acteurs ou la fonction de secours de toute l’Église. Dans la mesure où le Secours catholique est fondé par l’Assemblée des cardinaux et archevêques de France comme « l’expression officielle de la charité de l’Église de France », l’équivalence est facile à poser dans l’esprit de Jean Rodhain : Secours catholique = les diacres, sans que cela ne soit jamais pensé de façon exclusive.
Des diacres aux gros bras à la diaconie technique
Tels les acteurs du service des tables du chapitre 6 des Actes des Apôtres, le Secours catholique a charge, au sortir de la guerre, d’être l’organe d’une juste distribution des dons provenant des Églises étrangères. Jean Rodhain met sa formidable compétence organisatrice au service de l’efficacité et de l’organisation de la charité par-delà toutes les frontières. « Quelques diacres aux bras solides suffisaient à l’Église primitive [2] » écrit-il ! Pour être efficaces dans les dimensions du monde contemporain, ces bras doivent désormais manier les techniques publicitaires, financières, banquières, douanières, juridiques, voire politiques. Les bras ont besoin d’idées qui permettent d’agir vite et mieux. « Les diacres », tels qu’ils sont ici compris, sont des gens de métier, des spécialistes. Bien avant d’autres, le Secours catholique s’équipe dès 1967 d’un gros ordinateur. Bref Jean Rodhain a voulu une diaconie technique performante et exemplaire, dont les fameuses cités-secours constituent des prototypes pour la vie sociale du pays.
L’animation de la charité de toute l’Église
Pour autant, l’essentiel n’est pas dans la spécialisation technique. Jean Rodhain a toujours voulu et conçu le Secours catholique comme l’animation de la charité de toute l’Église. C’est tellement vrai que dans les premières années d’existence, il interdit aux membres de l’organisation d’exercer une charité directe pour se concentrer dans l’harmonisation et la coordination des œuvres déjà existantes. « Nous devons nous abstenir de tout acte de charité directe, quelle que soit l’urgence des misères qu’on nous demande de soulager. [3] » Il s’agit d’ « obtenir par la coordination des efforts un meilleur rendement des moyens mis à la disposition de la charité catholique [4] ». Souvent, Jean Rodhain souligne que le rôle du Secours catholique est d’offrir une table de travail, de telle manière que les diverses forces de l’Église se parlent, s’écoutent, agissent mieux parce que de façon plus harmonieuse et plus unie. « Les diacres » ont pour fonction d’éviter l’éparpillement et la division, d’ « harmoniser les charités individuelles vers des réalisations collectives [5] », de travailler à l’unité, de donner forme au visage d’amour de toute l’Église. « Le Secours catholique est un instrument au service de l’Église militante. [6] »
Des campagnes nationales
Novembre 1946, à l’initiative de Jean Rodhain, les différentes œuvres caritatives et les mouvements d’Action catholique sont réunis pour mettre en place la première campagne de carême de l’Église de France : celle des malades en 1947. L’opération fut reprise : 1948, campagne des berceaux ; 1949, campagne des vieillards ; 1950, campagne de l’enfance malheureuse, etc. Ces campagnes veulent provoquer chaque année une mobilisation de l’Église de France sur un sujet donné, en déployant la pédagogie de l’action catholique : enquête, discernement, action. Déployées d’abord localement, elles peuvent provoquer des suggestions législatives à l’intention des pouvoirs publics. Elles veulent « provoquer à travers la France une fermentation de charité [7] ». Jean Rodhain a de l’ambition pour ces campagnes. Il les conçoit comme un plan d’ensemble, qui d’année en année, permettra à la société d’évoluer, car chaque pan de la misère aura été mieux cerné, et des institutions permanentes auront été inventées pour résoudre les problèmes. Ici, le rôle du Secours catholique est d’être le chef d’orchestre, qui harmonise chaque campagne, comprise comme campagne de toute l’Église de France.
La diaconie comme pédagogie de la charité
Ces campagnes, si elles révèlent la misère, révèlent aussi la charité. Elles offrent une occasion de se réveiller, de se mettre en route. De fait, elles cherchent à offrir à toute personne, quelle que soit sa situation, de participer, de donner un coup de main. Les exemples fourmillent et l’imagination est constamment au rendez-vous. Ainsi, on propose au long du carême à une famille d’engraisser le lapin de Pâques pour le vieillard, ou encore aux prisonniers de participer en construisant des berceaux, aux prisonnières en tricotant des layettes. L’idée de Jean Rodhain est la suivante : chez tout homme, l’amour sommeille, parfois ankylosé. Aux « diacres » de le réveiller ! « Il s’agit d’abord d’éveiller, ou de réveiller, d’allumer ou de rallumer chez les fidèles (et chez ceux qui ne nous paraissent pas fidèles) cette charité qui est la vraie religion. [8] » Pour exprimer ce dynamisme, Jean Rodhain forge une expression : « les chômeurs de la charité », les ouvriers de la onzième heure qu’il faut embaucher sur les chemins de Galilée comme sur ceux de l’action aujourd’hui. « Cette masse dispose de capacités providentielles de don et de partage. Elle attend un éveil. Elle attend une pédagogie. [9] » Entraîner l’humanité dans l’amour, telle est bien la fonction de la diaconie, qui se fait révélatrice de l’action divine en tout homme. Jean Rodhain aimait souligner qu’en permettant à chacun, quelle que soit sa foi, de vivre un peu plus en aimant ses frères, on lui permettait de grandir dans la ressemblance au Christ. Or telle est la finalité de l’évangélisation. L’action est une école d’apostolat.
La restauration du diaconat à la mode de Jean Rodhain
S’il a compris le Secours catholique comme tenant le rôle des diacres de l’Église primitive, y compris dans son déploiement liturgique [10] , il n’y a pas à s’étonner que Jean Rodhain fut un fervent artisan du rétablissement du diaconat permanent au Concile Vatican II. C’est à partir de 1956 qu’il se met à parler du « diaconat de l’an 2000 [11] ». La première mention lie explicitement la préparation de ce futur diaconat au mandat donné au Secours catholique pour agir au nom de l’Église [12]. Bref, Jean Rodhain veut des diacres pour l’an 2000 comme forme ecclésiale de la caritas pour faire face aux besoins nouveaux de la misère. En 1953, dans Jalons pour une théologie du laïcat, Yves Congar avait discrètement intégré la question du diaconat dans un excursus sur les « ordres mineurs » pour les laïcs [13]. Mais l’appel de Jean Rodhain en juin 1956 semble bien être la première intervention francophone à poser aussi nettement sur la place publique la question du diaconat par un article des Informations catholiques internationales au titre provoquant : « les diacres de l’âge atomique [14] ».
Envoyant une caisse de Vouvray à Jean XXIII pour ses quatre-vingts ans, Jean Rodhain l’accompagne d’une lettre se terminant par ces mots révélateurs : « Voilà pourquoi, très simplement, ces responsables laïcs - qui rêvent de devenir les diacres modernes de la charité - osent adresser filialement à Votre Sainteté cet humble souvenir. [15] » Éclairé par les travaux patristiques de Jean Colson, Jean Rodhain insiste sur la « fonction diaconale », et souligne pour le diaconat la valeur spécifique de « l’exercice institutionnel de la mission de charité [de l’Église] [16] ». En 1971, alors qu’on lui demande comment il envisage l’avenir, il répond : « Nous préparons des diacres pour prendre le relais. Par conséquent, je n’ai aucun souci : si je mourais dans huit jours, dans un accident d’avion ou d’une pneumonie, une équipe de diacres prendra la suite et tout ira bien [17] ». C’est donc par l’intuition pratique que Jean Rodhain rejoignait l’affirmation théorique de Congar : « il est souverainement important que la diaconie soit liée au diaconat. [18] » En cherchant, sans finalement y parvenir, à ce que les cadres du Secours catholique soient ordonnés diacres, Rodhain rejoignait l’idée exprimée plus tôt par Congar selon laquelle « l’œuvre de la charité chrétienne, celle même du temporel de l’Église, ne peut, de soi, être purement laïque [19] ». C’est cela qui permettait de considérer comme théologiquement fondée « l’idée d’un diaconat de certains laïcs [20] ».
Diacres et diaconie pour l’action du Christ
Chez Rodhain, cet écoutant du cri des pauvres, l’obsession est permanente : que le Christ continue son œuvre aujourd’hui ! « Les diacres » ou la diaconie sont au service de l’Évangile continué : « face à face dans l’aveuglante clarté de la Charité, voir le doigt de Dieu écrivant l’Histoire quotidienne de sa Rédemption. [21] » La diaconie vise à ce que l’humanité devienne le temple de la charité de Dieu. « Chaque moment est un moment de son action. [22] » L’enjeu pour Jean Rodhain, c’est de ne pas perdre le fil divin de l’action, c’est de ne pas tarir l’opérativité et l’efficacité de l’amour divin. « Charité de l’Église et Charité du Christ, c’est tout un ! [23] » Rodhain s’est tout entier donné à la diaconie de l’Église pour qu’elle soit chaque jour au « rendez-vous de l’Incarnation ». Ainsi la diaconie ne se comprend que dans sa relation à l’action de Dieu. Elle est l’institution ordonnée au chantier de reconstruction de l’humanité dans l’amour inauguré par Jésus-Christ et dynamisé par lui [24] .
Luc DUBRULLE
Institut Catholique de Paris
Délégué général de la Fondation Jean-Rodhain
[1] Jean Rodhain, « Le Congrès Eucharistique National de Nancy reprendra le 10 juillet une authentique coutume des premiers chrétiens », Messages, n° 8, mai 1949, p. 8.
[2] « Rapport de M. le chanoine Rodhain », Conclusions des journées d’études internationales. Paris 3-4-5 mars 1947, p. 17 21.
[3] « L’activité des délégations », Bulletin de liaison, n° 11, novembre 1947, p. 5-6. Relue soixante ans plus tard, la citation peut surprendre. De fait, le Secours catholique a rapidement évolué comme un organisme très actif dans le secours direct, mais sans jamais cesser d’être un service de l’Église de France.
[4] Ibid.
[5] Jean R
[6] Jean R
[7] « Le Secours catholique », documentation de présentation, 1948, p. 4.
[8] Plan de travail, octobre 1948, p. 4-5.
[9] Intervention de Mgr Rodhain à la cinquième assemblée du Conseil pontifical "Cor unum", 25 29 mai 1976.
[11] Jean R
[12] Cf. Jean R
[13] Cf.Yves Marie-Joseph Congar, Jalons pour une théologie du laïcat, Unam sanctam n° 23, Paris, Cerf, 1953, p. 307 313.
[14] Jean R
[15] Lettre de Jean Rodhain à Jean XXIII, 26 octobre 1961. 3 CO 303/1309.
[16] Jean R
[17] Jean R
[18] Yves Marie-Joseph C
[19] Ibid.
[20] Ibid.
[21] Jean
[22] Jean R
[23] Jean R
[24] Selon la belle idée de Jean Colson.