Préface derrière les grilles
Jean RODHAIN, « Préface », in Gabrielle JOSMY, Derrière les grilles, souvenirs d'une visiteuse de prison, Paris, Fleurus, 1966, p. 9-11.
Préface
Je voudrais crier sur les toits que ces « Souvenirs » sont un témoignage important. Plus important que ces records ou ces discours dont ce soir le journal remplira sa première page.
Et je voudrais le crier pour deux raisons :
Primo : En France, certains[1] chrétiens ne font pas leur devoir vis-à-vis des prisonniers.
Je sors de la séance solennelle du Conseil Supérieur de l'Administration Pénitentiaire, présidé par le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice. J'y ai appris qu'en un an la population des prisons françaises avait augmenté de 9%, pour atteindre le 1er mars 1966 le chiffre record de 34.117 prisonniers.
Mais malgré d'évidents progrès techniques, malgré une réforme pénitentiaire partie de principes excellents, on constate que les mesures prises pour la rééducation du prisonnier s'enlisaient peu à peu. En Hollande, l'assistance de 4000 bénévoles a réduit le nombre des récidivistes à 5%. En France, on arrive au résultat inverse. En France, pour un nombre cinq fois supérieur de prisonniers, on ne trouve pas 2000 bénévoles, à leur service[2]...
Ainsi en France on publie chaque matin un nouveau livre sur le Concile, on prononce chaque soir cent conférences sur la Présence de l’Église au Monde actuel, on donne au monde entier des leçons sur la manière de réaliser l’Évangile. Et pendant ce temps, à 100 mètres de ces conférenciers, les prisonniers attendent qu'un chrétien mette en application l'Évangile : « J'étais en prison, et vous m'avez visité ».
Secundo : En France, les chrétiens ne font pas leur devoir envers les prisonniers parce qu'ils ne savent pas comment remplir ce devoir.
La captivité de 2.000.000 de Français en 1940, et quelques autres captivités depuis, cela a produit dans beaucoup de familles un intérêt de bon aloi et de bon cœur vis-à-vis des captifs. On envoie volontiers un mandat pour un colis de Noël dans une prison.
Mais entrer en prison, faire les démarches administratives, affronter grilles et gardiens, et venir visiter un captif sans famille, cela paraît un tour de force réservé à des spécialistes.
On voudrait bien, mais on n'ose pas...
Aux fenêtres et sur les terrasses de Jérusalem, des milliers de bonnes âmes, bouleversées par le spectacle du Seigneur portant sa croix, ont songé à le secourir. Une seule, Véronique, l'a réalisé...
Et voici une brave militante de l'Action Catholique Féminine qui suit le même itinéraire. Et qui un jour se décide à entrer dans une des 200 prisons françaises. Elle le raconte simplement. Elle prouve que c'est possible.
Tous les aumôniers de prisons, confidents de tant de secrets, témoins de tant de familles brisées, et d'enfants abandonnés à cause du père prisonnier, remercient Madame Josmy pour un tel « témoignage ».
Mgr Jean RODHAIN
Aumônier Général des Prisons.