D'un débat que Notre Dame eut avec le grand Saint Pierre sur les abus de la charité
Jean RODHAIN, « D'un débat que Notre-Dame eut avec le grand Saint-Pierre sur les abus de la charité », Messages du Secours Catholique, n° 36, février 1954, p. 1.[1]
D'un débat que Notre Dame eut avec le grand Saint Pierre sur les abus de la charité
Pierre, pourquoi as‑tu encore renvoyé cette femme dont tu avais cependant guéri le père à la Belle‑Porte, il y a près d'un an déjà ?
‑ Vous savez bien, Marie, qu'elle abuse de nous. Son père ne boite plus, mais elle n'est pas guérie de sa mendicité. Les drachmes données, savez‑vous exactement, Marie, à quoi elle les emploie...
‑ Pierre, crois‑tu qu'à Cana tout le vin fut sobrement savouré ? Si j'ai intercédé, si mon Fils suscita dans les urnes ce vin meilleur, si la joie des époux fut grande, avions‑nous auparavant calculé la ration de chacun, avions‑nous, Lui et moi, hésité en songeant qu'au bout de la table ‑ et aussi à la cuisine peut‑être ‑ celui‑ci et celle‑là apprécieraient trop abondamment ce miracle premier.
‑ Permettez, Marie, il s'agissait justement d'un miracle, et il faut convenir qu'à chacun de ses miracles, votre Fils, Marie, faisait royalement les choses. Mais je ne suis pas chargé, moi, de faire des miracles à longueur de journée mais de faire l'Église.
Marie, vous savez bien que pour gouverner, je dois raison garder. Le pouvoir des clefs est à l'image de l'économe exact et fidèle.
‑ Celui qui t'a donné ces clefs et donné ce pouvoir, Pierre, c'est aussi Celui qui guérissait dix lépreux sans ignorer déjà l'ingratitude de neuf d'entre eux, Pierre, ne m'oblige pas à te redire jusqu'où le Seigneur a aimé ses apôtres, tous ses apôtres, sans calculer un instant...
‑ Je sais, Marie, qu'il ne calcula même pas ce qu'il me donnait, alors qu'il entendait déjà d'avance le troisième chant du coq. Mais depuis ? Marie, j'ai été affermi dans la foi, et devant vous-même l'Esprit est descendu sur moi dans ce même cénacle. Depuis c'est à moi de peser et de juger. La distribution doit être juste. Je veux voir et savoir exactement si chacun est digne de l'aumône.
‑ Pierre, dans ce cas, retourne au métier qu'avait Mathieu avant d'être des nôtres : fais‑toi comptable ou douanier.
Pierre, Pierre, que cherches‑tu donc en fin de compte ? Cherches‑tu à n'être jamais trompé, ou bien cherches‑tu à ressembler tellement au Christ que tu sois, comme Lui, quatre‑vingt‑dix neuf fois abusé.
‑ Marie, comme chef, je dois au Christ des comptes. A vous suivre, je finirai par entendre un jour le Christ me dire devant mon aveuglement : « Pierre, tu as été trop bon. » Que répondrai‑je ?
‑ Pierre, tu répondras : « Et vous, Seigneur ? »
[1] Réédité dans : DM, pp.113-114. OCR effectué sur DM. (Note de l’éditeur)