Chers déportés
Jean RODHAIN, "Chers déportés", Messages de l’aumônerie générale, n° 4, 13 avril 1945, p. 4.
Chers Déportés
Voici un message qui vient de France. Voici enfin un papier imprimé à Paris. Voici l’avant-coureur des lettres de chez vous. Avec quelle ferveur dactylos et typos, ne l’ont-ils pas composé, ce message ! Il semblait à chacun que votre maman et vos enfants étaient près de lui, cette nuit, quand toute l’équipe sortait enfin cette feuille qui voudrait être leur lettre pour vous.
Pendant quatre ans, clandestinement, et depuis huit mois au grand soleil de France, l’Aumônerie a été l’un des carrefours où les confidences des vôtres venaient aboutir. "Jeannine et Pierrot vont bien. Sommes réfugiés chez grand’mère à Perpignan..." Cela, et mille confidences aimantes et intraduisibles, nous l’avons gardé, la rage au cœur de ne pouvoir vous les transmettre à travers les barbelés de Weimar.
Ce trésor de confidences, il faudra un jour l’entr’ouvrir pour que l’on sache la richesse de fidélité des plus humbles familles de France.
"Jeannine et Pierrot vont bien..." Mais savez-vous que votre Pierrot, malgré ses dix ans, conduisait la charrue et soignait seul toute l’écurie ?...
Combien de Jeannines, avec leurs cinq ans, ont su être l’innocente et inlassable éveilleuse de confiance à votre foyer…
"Jeannine et Pierrot vont bien". C’est votre Jeannine. C’est votre Pierrot, vous allez les revoir. Ils vont vous écrire. Toutes les Croix-Rouges, toutes les organisations officielles vont se précipiter au-devant de vous pour vous apporter de leurs nouvelles.
L’Aumônerie se joint à elles pour vous transmettre un écho de votre foyer. Par centaines nos prêtres de France ont été déportés avec vous. Ils vont enfin pouvoir célébrer leur première messe parmi vous. Rien ne sera mieux dans leur rôle que de vous annoncer la bonne nouvelle, en vous distribuant ces "messages" de chez vous.
Jean RODHAIN
Aumônier général des prisonniers et déportés