Le pigeon, le paysan et les mandarins
Jean RODHAIN, « Le pigeon, le paysan et les mandarins. Fable chinoise », Bulletin de liaison du Secours Catholique, n° 29, mai 1949, p. 1.
Le pigeon, le paysan et les mandarins
Fable chinoise
Un pauvre paysan chinois avait réussi à élever un pigeon au plumage magnifique : noir, blanc et gris, pigeon plein de vie et d'espoir.
Quand ce pigeon eut atteint l'âge de deux ans, un mandarin vint à passer. Comme il n’aimait pas les couleurs foncées, il remarqua qu'on pourrait utiliser les plumes noires pour un usage meilleur. Séduit par cette recherche du plus parfait, le paysan obéit et enleva au pigeon ses plumes noires. Le pigeon d'ailleurs ne dit pas un mot.
Un second mandarin peu habitué au blanc, démontra que sur ce pigeon un plumage clair était un réel gaspillage : un emploi judicieux de ces plumes blanches s'imposait. Le paysan étonné mais docile arracha une à une chaque plume blanche, en expliquant doucement au cher pigeon que nulle de ces plumes ne pouvait se justifier par une preuve évidente. Le pigeon ne fournit d'ailleurs aucune explication valable.
Survint un troisième mandarin, ennemi des demi-teintes. Ses pigeons à lui n’avaient pas de plumes grises ; ils étaient chétifs sans doute, mais d'un âge vénérable. De quel droit ce jeune pigeon osait-il afficher une teinte dont d'autres se passaient jusqu'ici ? Afin d'atteindre la perfection, le paysan fut sommé d'enlever aussi les plumes grises..
La nuit suivante, le pigeon déplumé eut froid, et il mourut. Ou, plus exactement, il creva.
Je connais un pigeon de deux ans d’âge, mais plein de vie, à qui tout d'un coup maints mandarins s'en viennent prodiguer des conseils attendris. Ce pigeon si vivant les inquiète. Ces médecins auxquels on n’a plus recours espèrent bien faire changer une à une ces caractéristiques qui ont abouti à une telle réussite...
Un système qui a réussi a besoin, au contraire, de maintenir les principes de base qui ont fait sa réussite. Aux donneurs de conseils je préfère l’admirable travail des délégations de province qui, peu à peu, mettent au point dans la rude réalité le véritable Secours Catholique.
Sans même aller jusqu'en Chine, le bon sens de la province française, déconseille de déplumer les pigeons en bonne santé, fût-ce sous le prétexte de les perfectionner.
Le Secrétaire Général
Abbé Jean RODHAIN