Mon cheval
Jean RODHAIN, « 195019111 Mon cheval », Messages du Secours Catholique, n° 11, avril-mai 1950, p. 1.
Mon cheval
Ce délégué du Secours Catholique d'une ville ouvrière du Nord voit arriver à son bureau un gamin de sept ans, avec, sous le bras, un cheval. Un vieux cheval de bois, gris pommelé, avec cet air résigné des chevaux qui ont longtemps servi de jouet.
‑ Voilà mon cheval pour un enfant de Bethléem.
- Très bien.
- Mais c'est « mon cheval », alors je voudrais que l'enfant de Bethléem qui l'aura me donne de ses nouvelles (du cheval).
‑ Ce n'est pas certain, mon garçon : l'enfant de Bethléem qui le recevra ne sait peut‑être pas écrire.
‑ Je veux de ses nouvelles, car je n'ai que ce cheval.
‑ Mais tu as d'autres jouets.
‑ Non M'sieu.
‑ Mais tu as bien un placard, une armoire chez toi avec d'autres jouets.
‑ Non M'sieu, je n'ai que « mon cheval ».
‑ Mais le soir quand tu rentres de l'école, avec quoi t'amuses‑tu ?
‑ Ben, voilà. Je rentre le soir après l'étude, à six heures. C'est l'heure où mon père rentre aussi de l'usine. Comme généralement il a bien bu, il bat ma mère. Alors on me met devant la porte, sur le palier. Et j'attends jusqu'à 8 ou 9 heures. Et je m'amuse avec mon cheval sur le palier. Parce que je n'ai que « mon cheval ». Je voudrais que l'enfant de Bethléem qui l'aura me donne de ses nouvelles.
‑ Quelle est ton adresse ?
L'adresse était dans la même rue que le bureau du Secours Catholique.
Ainsi voilà un gamin de sept ans, grandi dans un tel milieu, qui a tout de même entendu parler de Bethléem, et qui a écouté I'appel lancé pour les enfants de Bethléem.
Il n'a qu'un cheval.
Et il le donne.
Mais en le donnant, il fait découvrir (involontairement) au délégué du Secours que dans sa propre rue, à deux pas de chez lui, il y a un enfant malheureux que l'on ne soupçonnait pas.
Que faut‑il le plus admirer, de la générosité de ce gamin ou de cette Campagne de l'Enfance malheureuse, véritable déclenchement de Charité qui apprend à découvrir la misère proche et lointaine.
Ce fait est typique. Il symbolise tout le travail de nos adhérents. Il relie les misères de Palestine à celles du quartier. Il éclaire exactement le travail entrepris.
Ce simple cheval gris pommelé vaut toutes les définitions du Secours Catholique.
Jean RODHAIN.