La vraie lumière
Jean RODHAIN, « La vraie lumière », Messages du Secours Catholique, n° 26, octobre-novembre 1952, p. 1.
La vraie lumière
O Siècle admirable de techniques,
Siècle du bélinogramme, du télégramme et de la télévision,
Miracle de l'information qui éclaire chacun sur tout, et tout de suite.
Dans son lit, à moitié endormi, chacun, sans effort, entend sonner l'heure aux antipodes et, sans retard, tomber chaque but du match joué aux Amériques.
Un empereur meurt aux Indes et, à l'heure même, j'entends distinctement ses funérailles avec le pas des porteurs.
Mon journal me dit tout, et l'illustré du samedi m'apporte les photos prises le vendredi à l'opposé de la mappemonde.
Siècle de lumière et de l'information qui me dit tout et tout de suite.
La couleur du pyjama du célèbre Président lorsqu'il voyage en Floride. La marque des cigares du grand ministre.
Si la star a divorcé et pourquoi, et quand, et comment. Je sais tout et plus rien ne m'échappe de ce monde d'aujourd'hui. Pour la première fois, depuis la création, une part des humains photographient, télégraphient, transmettent et impriment pour que je sache tout.
Je sais tout.
Mais, des milliers de chrétiens emprisonnés chaque soir, mais, des centaines de martyrs de Chine, je ne saurai rien.
L'Église du premier siècle, cette Église sans techniciens, était en prières pour ses captifs et anxieuse pour ses martyrs.
L'Église de l'an 3000 s'étonnera de notre ignorance en 1952 vis-à-vis de notre Église martyre : les travaux forcés plus nombreux qu'au temps d'Ignace le Martyr, le sang versé plus abondant qu'au temps de Blandine et de Tharcisius nous sont cachés par un rideau de nuit.
Je ne sais rien.
Et finalement, la carmélite en prières dans son cloître et le paysan solitaire préoccupé de la page lue dans le pauvre bulletin des Missions, ils en savent chacun cent fois plus sur l'histoire de ce temps que le citadin bourré de radio et de papiers journaux.
Béni sois-tu « Messages », pour cette lueur que tu apportes, nous laissant enfin deviner la foule de ces pauvres Lazares, nos frères si proches et si cachés par la nuit de nos techniques.
Béni sois-tu lecteur de « Messages » dont le soutien fidèle permet peu à peu de rayonner davantage cette pauvre lueur.
Jean RODHAIN