Retour de Barcelone
Jean RODHAIN, « Retour de Barcelon », Messages du Secours Catholique, n° 24, juin-juillet 1952, p. 1.
Retour de Barcelone
Mon cher ami,
Vous n'avez pas voulu venir à Barcelone. C'était votre droit. Mais vous m'avez écrit pour m'en dire les raisons. Vous avez été impressionné, dites-vous, par vingt lignes de M. Homais contre ce Congrès Eucharistique International. En 1952, M. Homais n'est plus pharmacien. Il est parfois devenu clerc, ce qui est un comble. Sur la foi de ses prophéties, vous avez regretté le choix de la ville, vous avez craint une présence d'un pouvoir civil, vous avez enfin envisagé le pire.
Entre le témoignage d'un absent, et le mien, je préfère le mien, car je fus présent et j'ai vu. Le Secours Catholique était présent, car ce Congrès comportait une section sur les misères du monde et leurs secours. Nous y étions les porte-paroles de la France.
Vous me permettrez de ne pas répondre à chacune de vos objections.
Ce serait trop facile, car chacune de vos prophéties s'est évanouie en fumée. Un million de témoins ont pu participer à un triomphe de l'Eucharistie sans qu'aucune des ombres annoncées par vous ait été aperçue par quiconque.
Ce que je vous reproche ce n'est pas chaque objection, c'est leur optique. Vous me dites avoir consulté vos voisins du quartier et qu'ils n'étaient pas « pour » cette ville. S'il s'agit de choisir son lieu de vacances, je suis enchanté que ma crémière adopte Capri parce que sa vedette préférée s'y baigne et je comprends que le métallo du sixième, pour son congé payé, s'oriente vers un pays dont son journal lui a dit qu'il était avancé. Comme il me semble normal que le banquier du rez-de-chaussée tienne absolument à sa ville d'eaux habituelle. Mais lorsque le Chef de l'Église, successeur de Pierre sur terre, envoie son Légat en un lieu, ce lieu me semble aussitôt éclairé d'une certaine lumière et je prie mes voisins de quartier, que j'aime bien, de ne point prétendre en remontrer au Souverain Pontife. Pour moi, le Pape connaît les questions sociales, l'Histoire et l'Évangile mieux que votre crémière. Le nombre d'ambassadeurs de tous pays - même non chrétiens - présents au Vatican prouve que même en politique internationale, l'univers lui accorde une autorité indiscutable, quoi qu'en puisse penser notre métallo ou notre banquier.
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Quand on gouverne un navire, on regarde la boussole et le cap, mais on ne va pas consulter les passagers. Sous prétexte d'apostolat, ne devenons pas des cœurs palpitants.
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Et surtout, je voudrais vous faire comprendre que tout, vos craintes et ma réponse, tout s'écroule devant l'objet du Congrès : il s'agissait de l'Eucharistie. - Humainement Bethléem était mal choisie, car ses hôteliers étaient fort peu surnaturels. - Humainement, Jérusalem fut aussi une erreur, car vous avouerez que ce Pilate était un fasciste notoire.
La Rédemption n'a que faire de nos humaines perspectives. Ni Jérusalem ne méritait le Jeudi Saint, ni Barcelone ne méritait l'Eucharistie, ni aucune ville d'aucun monde.
Si l'Eucharistie était signe de Gloire, aucune ville, ni Barcelone, ni Rome, ne pourrait prétendre être choisie en raison de ses titres et mérites pour abriter même un seul instant I'Éternel.
Si l'Eucharistie était signe de Puissance, aucun Tabernacle d'aucune matière précieuse ne pourrait contenir le Seigneur Tout-Puissant.
Si l'Eucharistie était signe de Justice, aucun apôtre, aucun disciple, aucun fidèle, aucun Congrès, aucun prêtre ne pourrait subsister devant le Ciboire du Juste Juge.
Mais dans l'Eucharistie, sa Puissance s'évanouit, sa Gloire s'efface, sa Justice se cache. Seule reste évidente, dans ce pain partagé, la Charité du Seigneur.
Un million d'humains, avec leurs péchés et leurs diversités, avec leurs fautes et leurs erreurs, ont partagé ce pain là à Barcelone.
Méditez dessus trois minutes, cher ami, et permettez que je ne vous décrive point les cérémonies de ce Congrès.
Il s'agissait de ce qui dépasse tout : cette Eucharistie, signe d'amour de Dieu et de paix entre les hommes.
Jean RODHAIN.