Je reviens de Hollande
Jean RODHAIN, « Je reviens de Hollande », Messages du Secours Catholique, n° 28, février 1953, p. 1.
Je reviens de Hollande
par Mgr Rodhain
J'ARRIVE
J'arrive de Hollande. Le pays tout entier consacrait ce dimanche au deuil, au recueillement et à la prière.
J'ai parcouru toutes les régions sinistrées. J'ai vu ce désastre plus brutal que les inondations du Pô ou celles d'Avignon. Il ne s'agit pas d'une eau dont le niveau monte et inonde une région. Ce sont des coups redoublés frappés par le vent et l'eau. Les digues ont reçu, en certains endroits, des coups de béliers fantastiques. Le flot qui a pénétré n'a pas seulement submergé. Son flux et son reflux ont manié les arbres et les poutres comme pour mieux broyer les maisons. 50.000 familles n'ont plus de foyers. 300.000 personnes ont été évacuées.
Les meilleures terres sont perdues pour des années. Mais, déjà, on travaille.
LA FOURMILIERE
Vous savez avec quel calme, quelle dignité, ce peuple. habitué à lutter contre la mer, a subi ce choc. Mais je ne savais pas à quel point ses méthodes étaient capables d'organiser les secours. On aurait cru une fourmilière où, après un instant d'hésitation, un fourmillement, méthodiquement, répare tout.
J'ai visité les centres improvisés de réception et de distribution des couvertures et vêtements de Breda et Bois‑le‑Duc. On se croirait dans un grand magasin organisé depuis des années. Ceux qui ont donné peuvent être tranquilles. Tout ce qui est en bon état est distribué avec une minutie que je n'ai vue jamais nulle part ailleurs.
QUE DEVIENNENT LES REFUGIES ?
Tous sont logés dans des familles. Il n' y a pas un seul « camp de réfugiés ». La préoccupation des autorités a été « milieu familial d'abord ». J'ai visité le Centre de triage de Rotterdam, avec dortoirs (capacité : 2.000 lits), douches, vestiaire. Il a été fermé définitivement samedi 7, à 17 heures. Terminé. Tous les réfugiés sont reclassés sans exception pour l'instant. Seule reste mouvante la catégorie très réduite de ceux qui guettent le mouvement du flot pour regagner leur maison.
OU EN EST L'ACCUEIL D'ENFANTS ?
Les Organisations hollandaises réunies vendredi soir, ont exprimé leur gratitude pour cet offre, mais l'ont refusée à l'unanimité.
Se rappelant l'accueil réservé aux Pays‑Bas, en 1945‑1946, aux enfants de nos régions sinistrées, par dizaines de mille les familles françaises s'apprêtaient à l'accueil, se réjouissaient de préparer l'arrivée d'un enfant hollandais. Je voudrais qu'elles comprennent ce refus. Ces gens ont tout perdu. Il leur reste leurs enfants : à cette heure, ils ne veulent pas s'en séparer. J'ai vu des familles sauvées des eaux se tenir par la main. « Se tenir ». Je vois encore à Breda les groupes de familles qui semblaient « liés » par la main. On dirait, à la manière dont le père, la mère et les enfants se tenaient, qu'aucune force n'auraient pu les séparer.
CE QUI EST NOUVEAU
La Hollande a connu, depuis le moyen âge, d'autres raz de marée. C'est la première fois que s'est déclenché, en écho un flot de secours, rapide, de partout. Le front de mer, avec son pont aérien des avions de tous les pays, ses pontonniers de France et d'ailleurs, ses camions, ses convois, donnait l'impression d'une offensive, mais où les armes auraient fait place à la charité. Ceci est nouveau et bouleversant.
Les initiatives privées ‑ et tant mieux ‑ ont été les premières à pied‑d'oeuvre. Comment dire merci à toutes !
DE QUOI ONT‑ILS BESOIN ?
J'ai écouté, j'ai interrogé les échevins, les assistantes sociales, les autorités responsables de Hollande. Eux savent. Les 9/10èmes m'ont répondu : « de l'argent ». Pourquoi ? Ils m'ont expliqué. Ils remercient pour ce qui arrive. La moindre couverture sauve un enfant du froid. Cela a été sans prix. Cela est encore aujourd'hui utile.
Mais, pour demain, il faut rééquiper ces familles en tenant compte de leurs habitudes à elles, de leur outillage habituel, de leurs usages ménagers ; pour cela, les oeuvres hollandaises, sur place, connaissent les besoins mieux que nous. La première des « charités » c'est de comprendre son frère, c'est de lui faire confiance. Le billet de 50 francs de la veuve, comme le chèque du millionnaire, je le transmets. Comme intermédiaire choisissez vous-même l'organisme en qui vous avez confiance, Mais, ensuite, pour distribuer, on peut, on doit faire confiance aux oeuvres hollandaises.
UN REVE
Le Secours Catholique s'est rencontré sur la brèche avec de multiples œuvres de toute nature, de toutes confessions, de tous pays. Notre Organisation Internationale des Charités Catholiques a permis un emploi rationnel des secours.
Mais, surtout, cette rencontre nous a mis en contact avec des millions de familles généreuses, avec leur cœur, avec leur unanimité. Cela, c'est inoubliable. On rêve... si, pour chacune des tâches de demain, si dans chacune de nos cités, si entre toutes les oeuvres. la même unanimité se réalisait ? Que cela serait beau !
Pourquoi pas ?