Jean RODHAIN, « La première "cité-secours" d'Orléansville a été inaugurée le 21 novembre », Messages du Secours Catholique, n° 44, décembre 1954, p. 4-5.

La Première « cité-secours » d’Orléansville a été inaugurée le 21 novembre

Interview de Mgr Rodhain

- Monseigneur, vous rentrez d'Orléansville, mais vous aviez vu le tremblement de Céphalonie. Quel est le plus grave ?

- A Orléansville il y a des maisons utilisables, il y a encore un grand nombre de maisons habitées et habitables. Dans certains douars, par contre, chaque bâtiment est démoli.

En Céphalonie, au contraire, tout, absolument tout, était pulvérisé. La catastrophe de Céphalonie est, à mon avis, plus grave.

- Quelles sont les maisons qui ont résisté au tremblement de terre ?

- En général les propriétaires qui, utilisant Ies enseignements du tremblement de terre de 1934 à Orléansville, ont reconstruit des maisons avec un seul étage et du ciment de bonne qualité, ont vu leurs constructions résister. Mais on ne peut pas donner de règle générale. Quand vous froissez, sur une table, une toile cirée, vous voyez se former des plis irréguliers, les miettes qui peuvent se trouver sur ces plis sont précipités tantôt à gauche, tantôt à droite. Ainsi dans la région d’Orléansville, il y a eu des secousses ondulantes, d'autres tressautantes, d'autres giratoires. A certains endroits le clocher d'une église a vu son sommet tourner littéralement autour de son axe, à d'autres endroits la terre est restée immobile à quelques centaines de mètres de là. La piscine d'Orléansville n'a même pas une fissure. L'ensemble des canalisations d'eau de la ville est intacte.

- Est-il question de reconstruire la  ville ailleurs ?

C'est une invention d'un journaliste. Il n'est pas d'exemple, dans l'histoire du monde civilisé (je ne parle pas des territoires sauvages) que les habitants chassés d'une cité par un cataclysme n'aient pas rebâti leur demeure sur les ruines anciennes. Leur foyer était là, leurs enfants sont nés là, leurs parents et grands-parents sont enterrés là. Ils sont partis, ils reviendront avant peu et seront les premiers à vouloir que leur cité sorte de ses décombres. Voyez Pompéi, voyez Messine. Et d'ailleurs voudriez-vous avoir l'extrême obligeance de m'indiquer un point du globe dont vous me garantissiez qu’il aura le privilège d'être à l'abri de toutes tes calamités pendant les 40 siècles à venir ?

- Est-il exact que le Secours catholique a eu, sur place, des difficultés avec l'Administration ?

- C'est oui et non. En général le travail du Secours catholique s'est trouvé en face d'une administration compréhensive. Dans certains cas regrettables, heureusement fort rares, on trouve à certains rouages des esprits totalitaires qui ne comprennent pas l'apport des œuvres privées dans ces catastrophes.

(Parmi le matériel installé par les soins du Secours Catholique dans les douars, se trouvent dix tentes offertes par les lecteurs de « Témoignage Chrétien ».)

- Qu'appelez-vous « apport » des œuvres privées ?

- 1° l'État actuel est incapable de faire face totalement à un sinistre. Je le précise par des chiffres officiels : chaque pays civilisé possède un office de la protection civile chargé de prévoir les mesures et l'outillage nécessaires pour aider ses concitoyens en cas de guerre, de bombardements atomiques, d'inondations ou de tremblements de terre. Pour cet office les crédits par citoyen, s'élèvent :

- au Danemark à 850 frs ;

- en Hollande a un chiffre équivalent ;

- en Suisse et en Suède à plus de 600 frs ;

- en France, à 0 fr12 par citoyen.

Ce chiffre explique pourquoi, au moment d'un sinistre, l'État français actuel est totalement désarmé,

- 2° Même dans un Etat complètement outillé les œuvres privées ont l'avantage, non seulement, d'apporter un appoint ; d'apporter un personnel bénévole immédiatement disponible et en quantité illimitée, mais elles ont surtout l'avantage d'associer le pays tout entier à la catastrophe et de provoquer chez chaque citoyen une sollicitude qui est éducative pour lui-même. On l'a bien vu pour Orléansville : ce qui a le plus frappé les populations des douars, cela a été l'arrivée rapide de bénévoles de la Croix-Rouge et du Secours catholique,

(Le siège du Secours Catholique vient d'envoyer à sa Délégation d'Alger, pour le service des douars sinistrés d'Orléansville, une camionnette 800 kilos et un camion deux ponts Renault tous terrains.)

- Quelle est l'action actuelle du Secours Catholique ?

- La carte ci-contre vous indique les onze points que je viens de visiter, et où sont édifiées nos Cités-Secours. Elles ont en général, 30 mètres sur 6, le sol est une dalle de béton sur laquelle sont édifiées des cloisons préfabriquées isolées à double paroi. EIIes sont destinées à servir d'infirmerie, service social abri pour réfugiés de passage. Elles sont animées par les équipes du Secours Catholique d'Alger qui ont montré un si grand dévouement depuis la première heure avec une représentation du siége social de Paris. Elles travaillent en plein accord avec les Communautés catholiques, protestantes, israélites et musulmanes. Leur construction a été réalisée dans des temps record avec les équipes de la S.N.I.B.M., l'Entreprise Charbonnac, et surtout les services de M. Nicole, adjoint au maire d'Orléansville.

- Quels sont les souhaits actuels de la population ?

- 1° Redonner un foyer à ceux qui l'ont perdu.

- 2° La vie agricole qui ne souffre pas de retard : il faut préparer les semailles, loger les récoltes, abriter le bétail.

- 3° II faut que toutes ces réalisations soient un témoignage. L'élan de charité a été connu là-bas. On a été touché de savoir les gestes magnifiques des diocèses et combien de collectes touchantes dans les plus pauvres paroisses de France. On m'a chargé de dire un merci très ému à tous les donateurs. Mais cet élan dé charité doit s'accompagner de la part des pouvoirs publics, de réalisations tangibles. Les populations d'Algérie regardent avec une attention extrême la manière dont les pouvoirs publics français vont mener à bien la reconstruction de cette région. On nous attend au pied du mur…