Merci
Jean RODHAIN, « Merci », Messages du Secours Catholique, n° 37, mars 1954, p. 1.
Merci
Sortie de plain-pied d'un roman de Bernanos, l'étonnante silhouette de l'abbé Pierre est devenue, en huit jours, une singulière image d'Épinal. Deo gratias.
Son cri, et plus encore son témoignage d'une vie partageant la misère‑type, ont réveillé l'État et chacun de nous. Voici un prophète de la Charité qui clame, bouscule et enthousiasme. Deo gratias.
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Sur les relations de l'abbé Pierre et du Secours Catholique, certains nous interrogent avec prudence parce qu'ils croient le problème délicat. Raison de plus de le traiter.
Relations financières ? Aucune. Le Secours Catholique n'a aucune responsabilité dans la gestion des fonds des communautés d'Emmaüs. Il ne s'ingérera pas dans ce domaine.
Relations de Charité ? C'est évident. Il suffit d'avancer vers la misère pour rencontrer aussitôt, depuis la Croix‑Rouge jusqu'à l'Armée du Salut, la convergence des œuvres au travail depuis des dizaines d'années.
Ouverte il y a trois ans, la Campagne du Logis a trouvé du même coup un renfort inespéré et un écho répercuté : « Qu'as‑tu fait pour ton frère mal logé ? ». Ce slogan du Secours Catholique est désormais diffusé avec une ampleur nouvelle.
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Un livre récent, aussi lourd que maladroit[1] prétend expliquer le rayonnement de Paris. L'auteur ferait bien d'étudier l'influence de la province : c'est en province que le travail le plus sérieux, le plus méthodique, le plus efficace a été réalisé, en ce mois de février 1954, pour les victimes du froid.
En province, et les pages 2 et 3 de ce numéro le prouvent, durant le froid l'unanimité s'est créée ou maintenue : Préfectures, Municipalités, Œuvres diverses et Secours Catholique ont travaillé en plein accord. L'enthousiasme des Parisiens a mis une étincelle opportune. Mais dans le bilan national, les réalisations de la province l'emportent largement.
Pour Paris il reste maintenant ‑ sinon nous nous payons de mots ‑ il reste maintenant à construire cette Cité‑Secours Asile de Nuit que notre journal réclamait en décembre dernier, avant les froids. Nous l'avons bâtie en toile. De passage à Paris, venez donc la voir, porte d'Orléans. Elle est remplie. Elle rend service. Mais surtout, elle appelle une construction « en dur »[2].
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Mais il reste aussi sur la mappemonde quelques millions d'êtres humains sous‑alimentés. Parmi eux, nous avons sur les bras, depuis trois ans, sept cent mille Arabes sur le sable en Palestine, les pauvres enfants de Bethléem, un million de personnes déplacées en Europe centrale, et depuis six mois, cent mille sinistrés en Grèce.
Sur ma table, les demandes de secours s'accumulent de partout... En face de cette misère mondiale, on rougit jusqu'à la racine des cheveux de voir certains journaux ne donner de la cymbale que pour la quête en faveur des Parisiens. Un peu de pudeur s'il vous plaît...
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Il y a quelques semaines, on conduisait à sa tombe le contrôleur général Levêque. Pendant des années, il fut littéralement le serviteur et l'esclave de son foyer "Étoile du Matin". Dix mille détenus sortant de prison ont été ici recueillis par lui, soignés, épouillés, à toutes les heures du jour et de la nuit par ce vieux militaire à la fois grincheux et admirable.
Il y a quelques jours, nous entourions, dans la chapelle de la rue du Bac, le pauvre cercueil de la bonne sœur Depalme dont personne ne parlera jamais, mais qui représente bien les dizaines de milliers de soignantes : à toutes les heures, et jusqu'à leur mort, elles soignent, elles lavent, elles essuient mille fois plus de misères que celles découvertes avant‑hier soir par les photographes.
Les ordres hospitaliers d'hommes et de femmes manquent de vocations. Je souhaite que la « Campagne du Logis » du Secours Catholique et le grand cri poussé par l'abbé Groués orientent vers ces Ordres des vocations de jeunes. Ces Ordres et leurs succursales, dans les cinq continents, sont des éléments stables et solides de la Charité. Vocations d'abord.
Le secrétaire général,
Mgr Jean RODHAIN