Et les français réfugiés
Jean RODHAIN, « Et les Français réfugiés ? », Messages du Secours Catholique, n° 65, février 1957, p. 2.
Et les français réfugiés ?
NOVEMBRE 1956. Le premier avion arrive au Bourget avec 40 réfugiés hongrois. Fleurs. Champagne. Un ministre. Discours. Emotion dans la France entière. Notre Cité-Secours qui les accueille est assiégée par photographes et journalistes. Des milliers de lettres offrent chambres et places.
Janvier 1957. La France a maintenant 8.500 réfugiés hongrois, mais sur 100 lettres quotidiennes, 15 signalent des incidents. C'est près de Besançon, tous les réfugiés du camp de Valdahhon qui subitement, décident de partir en cortège vers la Suisse. C'est, à Metz, toute la jeunesse hongroise cantonnée dans une caserne qui prend le chemin de la frontière sarroise.
C'est, à Strasbourg. un groupe de Hongrois à rapatrier vers Mulhouse qui refusent de quitter leur wagon et exigent d'être maintenus dans le train de Paris.
Dans telle usine, sur 30 réfugiés hongrois hébergés, 18 changent d'avis vingt-quatre heures après et disparaissent pour une destination inconnue.
On pourrait multiplier les exemples de cette attitude en apparence incohérente.
Essayons de l'expliquer :
1ère cause : l'état moral de ces réfugiés.
Un émigré est toujours un inquiet qui s’intègre mal au début dans le pays où il arrive. Les Anglais de Londres, les Américains de New York comprennent difficilement, en 1942-1944, les émigrés français de l'époque. Les Hongrois qui nous arrivent sortent de dix ans de semi-captivité. Ils passent brusquement de l'oppression d'un régime policier, des fatigues d'un régime de sous-alimentation à une liberté totale. Ils s'attendaient à trouver, dans l'Europe libre des libérateurs venant faire cause commune avec eux. Ils trouvent des familles accueillantes certes, mais jouissant d'un niveau de vie et d'une tranquillité et souvent d'une insouciance qui les déconcertent.
Si nous voulons comprendre leurs réactions, mettons-nous un instant à leur place. L'accueil de la France a été magnifique. mais ceci ne suffit pas à résoudre tous les problèmes.
2° cause : en 1944. l'Allemagne de l'Ouest. appauvrie, misérable, a accueilli 8 millions de réfugiés de l'Est. Avec une ténacité incroyable, elle les a mis immédiatement et obligatoirement au travail dans une vie rude et laborieuse.
Actuellement, la France, par un respect excessif de liberté laisse tous les réfugiés hongrois - y compris les plus jeunes - divaguer dans tous les coins du pays sans mettre aucune condition à leurs déplacements. On retrouve d'ailleurs la même situation dans les autres pays d'accueil.
Cette méthode, ou plutôt cette absence de méthode, est aussi à l'origine de ces incidents. On a résolu le problème de l’hébergement. On a résolu l'aspect technique de l'accueil. On n'a pas résolu l'aspect moraL Les Pouvoirs publics n’ont pas encore réalisé l’importance de cet aspect.
Enfin, il n est pas possible de parler d'accueil à des réfugiés sans mentionner qu’en France, actuellement, nous venons d'accueillir 2.500 citoyens français en provenance d'Égypte sur lesquels 800 seulement étaient originaires de la métropole et 1.500 sont des citoyens musulmans, originaires du Maroc, de Tunisie ou apatrides.
Puis, depuis trois mois, en provenance du Maroc, de Tunisie et surtout d'Algérie, des Français de toutes classes sociales ont été contraints de quitter leur place, leur ferme, leur domicile. Leur nombre dépasse 30.000 arrivés en France. La Croix. Rouge a réalisé un gros effort pour eux, Mais ils s'étonnent que les Pouvoirs publics n'aient pas organisé leur accueil à la mesure de leur désarroi. Ils s’étonnent qu'un grand mouvement d'opinion et de générosité n'ait pas été suscité en France en leur faveur. Dans ce domaine, tout reste à faire.
Evidemment, en accueillant des réfugiés dans une paroisse ou dans une famille. il y a un risque à courir.
Il n y a pas qu'un seul risque à courir, il y en a un deuxième, nous dit l'Épître aux Hébreux en son chapitre 13, Verset 11 « Persévérez dans l'amour fraternel. N'oubliez pas l'hospitalité, car en l'observant, quelques-uns ont logé des anges sans le savoir. »
Mgr Jean RODHAIN.
Pour aider les Français rapatriés d' Égypte ou d'Afrique du Nord, aidez-nous. C.C.P. Paris 5.620-09.