Le pressoir et le puits
Jean RODHAIN, « Le pressoir et le puits », Messages du Secours Catholique, n° 70, juillet 1957, p. 1.
Le pressoir et le puits
Allant régulièrement chaque semaine à Lourdes depuis deux ans pour y surveiller les travaux de la Cité-Secours, j'ai vu peu à peu, le long du Gave, avant Pau, surgir cette curieuse installation de Lacq.
Comme de grandes sauterelles vertes, voici montant et descendant parmi les maïs, ces balanciers verts pompant inlassablement à 600 mètres sous les épis ce pétrole qui fut à l'origine le premier espoir de ce bassin.
Echafaudages en dentelles noires, voici les derricks des puits qui, l'un après l'autre, ponctuent de leurs silhouettes du Texas ces paisibles pâturages où jusqu'ici tout ne parlait que du bon roi Henry.
Et plus récemment, voici surgie le long du chemin de fer cette gigantesque alchimie en plein air où les cornues d'acier se dressent sur des entrelacs d'aluminium pour enfin déverser entre deux torchères frémissantes de feu une galette incandescente d'or pâle : c'est en effet finalement ici la fontaine de soufre liquide la plus abondante du monde entier.
Au lendemain du Congrès du Secours Catholique, à Lourdes, après une réception d'une cordialité inoubliable préparée par la municipalité de Pau et la Grande-Viguerie du Jurançon, quelques délégués privilégiés étaient admis dans cette alchimie de Lacq.
Lacq est, au dire des Américains qui s'y entendent en forage, l'entreprise la plus hardie de l'univers. Cette audace est récompensée puisque en plus du propane et du méthane, le gaz toxique de Lacq remonté de près de 4.000 mètres, vomit un soufre si abondant que dans trois ans, la France, jusqu'ici importatrice, deviendra exportatrice vers le monde entier.
Qui eut dit il y a 50 ans, qui eut dit il y a 10 ans seulement, qu'au bord de ce Gave, à deus pas de la Grotte de Massabielle, un trou au diamètre plus étroit que cette feuille de notre journal rejoindrait au fond du pliocène un tel trésor.
II y a 50 ans, il y a 10 ans, tous les manuels de géologie, tous les cours d'économie politique décrétaient scientifiquement la totale stérilité souterraine de cette région.
Ils la décrétaient scientifiquement avec la même assurance qu’il y a cent ans le sous-préfet d'Argelès, le brigadier de gendarmerie, et le rude curé du même Lourdes décrétaient que la nommée Soubirous Bernadette ne pouvait réellement avoir aucune importance.
Nous croyons, nous, que l'admirable Créateur nourrissant depuis des millions d'années des milliards de familles, a disposé dans la terre, sous la terre, dans les mers, des trésors insoupçonnés dont peu à peu les Christophe Colomb ou les Pascal ou les Curie de l'an 3000 découvriront, à l'heure voulue, les réactions nourrissantes ou providentiellement rayonnantes.
Nous croyons, nous, que dans le métro de ce matin, ou dans cette grande école primaire, ou dans cette sortie d'usine nauséabonde, il y a, insoupçonnée, cette Jeanne d'Arc ou ce Saint-Martin de l'an 1975 qu'en l'an 2000 les foules vénèreront sur les autels, en s'étonnant que les contemporains de 1957 n’aient pas reconnu ce trésor insoupçonné.
Nous croyons, nous, que pendant que ce monde se grise de formules au clinquant récent et se délecte en démissions séniles, il fermente inlassablement un vin nouveau, fait des raisins pressés, broyés, foulés, aux grappes mélangées, à la fermentation toujours jeune, source intarissable de l'authentique pressoir de l'Église : ce vin nouveau s'appelle la Charité.
Preuves historiques, théologiques. Exemples pratiques pris en Auvergne ou en Afrique, analyses et synthèses : en trois jours tout notre congrès National n'est pas sorti de ce pressoir. Il ne portait qu'une seule enseigne « Charité, travail d'Église ». Nous y croyons.
Mgr Jean RODHAIN.