Au delà de l'atome
Jean RODHAIN, « Au delà de l'atome », Le Pèlerin, 21 janvier 1958.
Au delà de l’atome
Dans un mois s'ouvre l'Exposition Universelle de Bruxelles. Le Chantier actuel n'est déjà plus le squelette d'acier qui grelottait au vent de Novembre : tout s'achève, se meuble, se pare, dans une fièvre de fourmilière. Autour de l'Atomium de 120 mètres de haut, monument gigantesque à la gloire de l'Atome, chaque pays est venu agenouiller sa représentation. Pour chaque Palais national, la façade regarde l'Atomium et l'intérieur chante la gloire de l'Atome. L'U.R.S.S. et les Etats-Unis ont consacré des vingtaines de milliards à planter chacun leur géant bourré de preuves techniques. Et tous les autres pays ont adopté la même démonstration délirante. Les progrès de l'an 2000, le bonheur de l'homme en l'an 2.000, la gloire de l'ère atomique, voilà le langage de mille et mille hectares de halls avec leurs forêts de tours, de pylônes et leurs stands portés, suspendus, illuminés. Ce sera une féerie. Ce sera intéressant. Vous en sortirez ébloui.
J'imagine St Paul revenant de Corinthe et d'Athènes, et subitement transplanté cette année à Bruxelles. Il n'en serait pas scandalisé. Il parlerait devant l'Atomium comme il parla à l'Aréopage : « Ce Dieu inconnu que vous cherchez, je vous l'annonce : Moi Paul, hérault du Christ, dans ce monde nouveau, voici les signes de l'avènement du Seigneur, voici en l'an 2000 l'ère du Rédempteur assumant l'humanité avec la nature dévoilée depuis l'atome jusqu'au réacteur nucléaire et gémissant vers son Créateur. »
Mais Paul n'est pas inscrit au registre des millions de visiteurs annoncés. Nous arrivons seuls à Bruxelles avec un flot immense. Parmi cent pavillons, voici le pavillon tricolore. Ce drapeau bleu blanc rouge nous attire. La France a bien fait les choses. Trois étages s'élancent comme trois flèches de verre et d'acier. Dans ce trident technique, il y a une singularité. Dans la section "Pensée française", l'Église présente son stand. C'est une sobriété insolite. Deux textes seulement en lettres d'Or. Celui de Pascal : "Tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer en repos, dans sa chambre"[1]. Celui de l'Évangile : " Si tu veux prier ton Dieu, retourne dans le secret de ta cellule".
Entre ces deux textes un stand, un seul : c'est une cellule monacale. Est-ce l'ermitage du Père de Foucauld à Tamanrasset ou la cellule d'un moine de la Grande Chartreuse ? On ne sait pas au juste ! Un cloître. Une solitude. Un contemplatif. Deux textes. L'Eglise sait qu'en l'an 2000, la contemplation sera toujours d'actualité. Elle affiche, elle propose cette vision. Elle la déclare plus révolutionnaire que la fusion nucléaire. Elle proclame que l'âme ignorée priant Dieu dans le secret a plus de rayonnement que la bombe d'Hiroshima. C'est tout.
Voilà le stand le plus révolutionnaire de l'Exposition Universelle de Bruxelles[2]. C'est un stand français.
Les agences de voyages révèlent que 95 % des touristes inscrits pour Bruxelles ont demandé à prolonger leurs billets d'avion ou de train sur Lourdes. Pourquoi Lourdes ? Parce que c'est le Centenaire des Apparitions.
Un des responsables de Bruxelles découvrant que le Centenaire de Lourdes coïncidait avec son Exposition déclarait : "C'est génial". Ce n'est pas génial du tout. Il n'y a pas de génie des Expositions pré-établies.
Il y a une petite fille de rien du tout. Une petite fille n'ayant même pas fait sa première Communion qui, il y a cent ans exactement, jour pour jour, allant près d'une grotte ramasser des fagots et des vieux os, y rencontra Notre-Dame. Cette petite fille s'appelait Bernadette.
Voilà pourquoi cent ans après, les millions de visiteurs de la Super-Exposition technique s'en reviendront par cette Grotte, pour s'y mettre à genoux, et regarder très loin au delà du technique et de l'atome .
"Je vous salue Marie, pleine de grâces, le Seigneur est avec vous".
Mgr Jean RODHAIN
Responsable du Stand "Église" au pavillon français de l'Exposition de Bruxelles