Enfin, devant ces chiffres, deux minutes de méditation
Jean RODHAIN, « Des chiffres », Brochure de la Journée Nationale 1959, p. 6-10.
Enfin, devant ces chiffres, deux minutes de méditation
J'épingle sur le mur de ma chambre tous les chiffres ci-dessus.[1]
Il n'y a aucun élément mathématique de comparaison entre eux. Rationnellement ils ne sont pas comparables, car ils figurent des éléments hétéroclites, et classés à des échelles différentes.
Mais tout de même, on gagne toujours à faire des comparaisons, on apprend toujours à opposer deux éléments même très différents entre eux.
Et ces chiffres peuvent-ils se comparer avec les chiffres de la charité ?
Oui, je sais, elle est inchiffrable.
Il manquera toujours la statistique de la générosité invisible : celle des gestes secrets, des services rendus. Et même dans un bilan d'œuvres, il manque les versements que l'on ne peut pas recenser, et qui sont lourds pour la paroisse et le curé : Ce que la paroisse donne aux écoles libres. Ce que chacun verse à la sœur quêteuse de l'orphelinat. Les cotisations de membres honoraires du patronage, de la colonie et de l'Amicale des anciens du Stalag, etc. Cela ferait un total aussi formidable que dispersé.
Mais devant ces seuls chiffres connus, je me demande si nous faisons notre devoir.
- Autrefois, chaque siècle a été marqué par des constructions de charité qui parlent aujourd'hui de la foi des fidèles d'alors. Le touriste visite en France l'hospice du Petit Saint-Bernard, l'Hôtel-Dieu de Paris, Saint-Lazare, l'hôpital des Enfants Trouvés, l'hospice de Beaune.
Au touriste de l'an 3000 qui voudra visiter les monuments de la Charité édifiés dans la première moitié du XX° siècle, on lui montrera quoi ? Cherchez.
On lui expliquera qu'il y a eu la loi de Séparation qui fut une plaie vive de 1900 à 1910.
On lui exposera que de 1910 à 1960, l'Église fit un effort « en profondeur » par ses écoles libres, ses Instituts Catholiques, ses Semaines Sociales, ses multiples Congrès et Mouvements.
On lui affirmera - et c'est très vrai - qu'à cette période l'État, la cité, la profession prirent peu à peu en charge les misères sociales. Sous l'inspiration - consciemment ou inconsciemment - de la doctrine sociale propagée par l'Église, les lois et les institutions relayèrent l'Église auprès des vieillards, des malades, des infirmes.
On lui prouvera même, enfin, qu'après 1944, la plupart des sanatoria et des cliniques tenues par des congrégations hospitalières religieuses furent conventionnés et eurent dans le domaine financier leurs problèmes résolus par les remboursements de la Sécurité Sociale. C'est un progrès que cette pénétration des institutions par l'esprit de charité traduit en justice sociale.
Et si mon touriste convaincu me rétorque ceci : « Mais alors, mais justement, puisque la législation allégeait l'Église d'une charge qu'elle avait jusqu'alors si audacieusement cherchée et si honorablement supportée, vous aviez donc une Église allégée, déchargée d'un fardeau financier. Elle devenait d'autant plus disponible pour prendre d'autres initiatives. La charité est toujours « en avant ». La charité d'aujourd'hui est la justice sociale de demain. Alors, de 1910 à 1960, qu'a bâti la charité des catholiques en France ? Ne me parlez pas des dévouements personnels et secrets : c'est l'abc magnifique de la charité. Mais où sont les lettres majuscules ? Où sont les institutions charitables de 1950 comparables à l'hospice de Beaune, mais adaptées à la situation des Pauvres du Christ de 1950 et aux techniques hardies du béton précontraint ? Montrez-moi ce qui a été construit en 1960 par les fidèles catholiques de France et qui puisse « tenir » pour représenter la Charité de l'Église en face du pont de Tancarville ou du barrage de Donzère-Mondragon...
- Cherchez...
- Cherchons...
- Comptons ce que nous ne faisons pas...
- Comptons ce qui nous attend...
- Comptons ce qui reste en souffrance...
Le secrétaire général,
J. R.
[1] Voir pages 6 et 7.