La charité est un mystère
Jean RODHAIN, « La charité est un mystère », texte destiné aux délégations du Secours catholique, 21 octobre 1959[1]
La charité est un mystère
Prenez la définition la plus rigoureuse de la Charité, cherchez-en la mesure la plus exacte. Pesez les mots avec la plus juste des balances. Choisissez vos termes avec la minutie d'une équation algébrique. Analysez, mesurez, vérifiez. Et finalement, vous vous retrouverez par terre tout empêtré parmi vos instruments de mesure, tout aussi déconcerté que ces scientifiques cherchant avec un microscope à définir le sourire d'un enfant.
Je peux démonter le moteur de ma voiture, le décomposer en éléments distincts et définis, et ensuite en présenter la liste complète avec un schéma pour le remontage et le fonctionnement.
Le chimiste fera de même pour analyser un échantillon de liqueur et l'exégète décomposera pareillement un texte avec ses interpolations.
Je peux aussi étudier la justice en général et même la justice sociale : avec le concours d'un philosophe et d'un théologien j'en présenterai une description détaillée accompagnée d'un véritable graphique de fonctionnement.
Mais, dès que je touche à la Charité, toute mesure craque et tout gabarit se comporte comme la boussole déréglée devant une montagne d'acier. Rien d'humain ne vaut plus. La Charité rejoint la Trinité. C'est une prise sur le divin. C'est une participation à la vie même du Seigneur. Il n'est pas possible d'y toucher sans frôler la Grâce. Tout est aussitôt jaillissant et rayonnant. C'est mieux qu'une réaction en chaîne, car c'est une réaction qui ne s'arrête plus. La Foi se terminera. L'Espérance aura une fin. Mais la Charité demeurera éternellement. Dans mille ans nous ne pratiquerons plus au Ciel ni la Prudence ni la Justice. Mais la Charité dont alors nous aimerons les élus, est du même ordre que celle qui balbutie dans une visite de prison ou à travers une Campagne pour la Faim dans le Monde.
Toutes les explications s'évaporent ici comme un verre d'eau versé sur le soleil.
La Charité est véritablement un mystère.
Deo gratias.
[1] Publié dans : SOS, Ce serviteur des pauvres, Jean Rodhain, Paris, 1977, p. 35-36 ; et dans : Jean RODHAIN, Toi aussi, fais de même, Paris, Éditions SOS, 1980, p. 179-180.