Soyons pratiques
Jean RODHAIN, « Soyons pratiques », Messages du Secours Catholique, n° 147, décembre 1964, p. 8.
Soyons pratiques
J’ai passé ma journée en démarches très concrètes : Bureau des douanes jordaniennes pour le matériel de la Cité à installer. Agence de l’Arabia Air-Lines, pour ma place à retenir sur le Boeing du retour vers Paris. Et ce soir, je rentre vers notre Cité-Secours. Il me faut sortir de Jérusalem par la Porte de Damas et suivre la route de Bethléem. Je rentre à pied sous la pluie. Il y a des taxis qui vous éclaboussent à 80 à l’heure. Il y a de petits ânes qui trottent avec un baluchon. Fatigué, je me mets à rêver en marchant.
Je me vois cheminant jusqu'à Bethléem et y visitant une famille pauvre. En sortant, je demande à l’assistante sociale de quoi ils ont besoin. En femme pratique, elle répond :
« Vous avez vu les mouches autour du berceau ? Et même sur les yeux de l'enfant ? Apportez-leur d'abord de l’insecticide. Quelle marque ? Ici dans ce pays on prend ce qu’on trouve sur place : l’encens qui fume chasse les mouches.
Ensuite ce bébé manque de tout ; pas de pharmacie. Donnez ce qui dans cet Orient est la buse des sirops et des pommades : la Myrrhe.
Enfin, il n'y a pas d'allocations familiales pour ce charpentier de Nazareth en voyage : ajoutez dont quelque monnaie, voire une pièce d'or. »
A ces mots, je sors de mon rêve : l'Évangile pour moi change de couleur. L’or, l'Encens et la Myrrhe qui me semblaient cadeaux symboliques, se dévoilent comme la trousse nécessaire du nouveau-né. Si les Rois Mages n'avaient pas les mains vides, leurs colis n'étaient pas des bibelots de luxe.
Plus tard, on s'amusera à y chercher des symboles. L’Etoile des Mages n'était pas un symbole, mais réalité scintillante. Après les Mages, l’épisode des Innocents n'est pas un symbole, mais un massacre.
Les Mages ne viennent pas à la crèche « symboliquement ».
Les Mages n’arrivent pas les mains vides.
Voici Noël qui arrive.
Ne gardons pas, nous, les mains vides.
Car la misère, près de nous, ce n'est plus un rêve.
J.R.