Au Concile, un signe parmi d’autres
Jean RODHAIN, « Au Concile, un signe parmi d'autres », Messages du Secours Catholique, n° 159, janvier 1966, p. 5.[1]
Au Concile, un signe parmi d’autres
Pour la dernière cérémonie de ce Concile, pour cette heure de la séparation et de la conclusion, chacun des assistants, chacun des journalistes se demandait avec curiosité s'il y aurait pour marquer l'évènement quelque rite imprévu. On savait que des messages seraient lus après la messe. Mais le bruit courrait qu'un autre geste serait accompli.
Or pendant la messe même, l'imprévu arriva. Après le chant du Credo, après la prière des fidèles chantée en latin puis en grec, à l'instant de l'offertoire, au lieu de s'avancer vers l'autel pour offrir l'hostie et le calice, le pape restait immobile à son trône. Le second personnage de l'Église, le Cardinal Tisserant, s'avançait entouré des Cardinaux Spellman et Heenan, vers le trône papal.
Chacun vérifia sur le missel spécial imprimé par la typographie vaticane que les cérémoniaires avaient distribué aux évêques et au corps diplomatique : en effet une rubrique de 7 lignes indiquait qu'à cet instant un cérémonial nouveau s'insérait. Cette rubrique précisait :
« Après l'oraison des fidèles en latin et en grec, le Saint Père, qui rappelait aux Nations-Unies le 4 octobre dernier le grave devoir de la grande famille humaine de venir au secours des moins favorisés de ses membres, remet un chèque à cinq évêques de Palestine, Argentine, Inde du Sud, Pakistan et Cambodge. Cette aide apportée au moment même de l'Offertoire de la messe veut être le symbole de la charité de l'Église tout entière unie autour du Pape. »
Après que le Cardinal Tisserant eut expliqué le sens de ce geste inséré dans la célébration de la messe, deux cardinaux, un patriarche et deux évêques représentant les cinq pays désignés s'avancèrent pour recevoir des mains du Souverain Pontife les offrandes destinées au service des plus pauvres.
Des applaudissements vite retenus éclatèrent de toute part. Chacun devinait la portée de ce geste inséré dans la messe pontificale. C'était comme dans la primitive Église le geste matériel du partage et de l'Offrande retrouvé.
C'était l'Offertoire d'autrefois avec les aliments pour les pauvres traduits dans la forme moderne de l'enveloppe et du chèque.
C'était surtout « les pauvres de la paroisse » remplacés à l'échelle du Concile par « les pauvres du Tiers-Monde ».
C'était un précédent liturgique indiscutable : ce que dans cette messe exemplaire du Concile clôturé le Pape réalisait, cela pouvait donc se réaliser chez nous dans la grand messe paroissiale : à l'Offertoire c'est bien le moment d'offrir le pain à partager en même temps que le pain à consacrer.
C'était enfin un signe pour l'action charitable après l'annonce solennelle fait à l'O.N.U. du développement à donner aux institutions caritatives, voici pour cinq pays cinq gestes appuyant chacun une de ces institutions de charité nettement caractérisée.
Quelques esprits chagrins prétendaient que le cérémonial romain sur l'écran de la télévision ne présentait que des images triomphalistes : cortège, ornements, acclamations. Ici, tout d'un coup, le cérémonial a laissé entrevoir le cœur de l'Église tourné vers la famine des Indes et les malades de Bethléem. Ceci n'a duré que 4 minutes, mais la télévision l'a présenté sur le vif. Et son commentaire fut excellent de précision et de sobriété
P.S. Il est curieux de constater que la Presse Catholique française a été la seule au monde à pousser la sobriété jusqu'au silence sur ce cérémonial abondamment cité et décrit dans les journaux de tous les autres pays. J'ignore l'explication de ce fait, mais c'est un fait contrôlable .....
Les spectateurs de l'Eurovision ont vu le détail de ce rite nouveau et en ont entendu l'explication, mais les lecteurs de journaux catholiques n'en ont rien su...
[1] Article non signé mais formellement identifié Jean Rodhain par Françoise Mallebay. (note de l'éditeur)