La joie de pâques
Jean RODHAIN, « La joie de Pâques, c'est la joie partagée », Messages du Secours Catholique, n° 162, avril 1966, p. 11-12.
La joie de pâques, c'est la joie partagée
Dans ce calvaire de Plougastel le Christ sortant du tombeau a été entouré par le sculpteur de trois soldats de granit.
Ces gardiens du tombeau ont été les témoins de la fulgurante résurrection. Ils furent éblouis de cette présence et de cette vérité[1]. A prix d'or, les Juifs achetèrent leur silence. Alors, ces faux témoins acceptèrent de s'accuser d'un sommeil profond[2]. Voilà pourquoi ces bonshommes de pierre ont les yeux fermés et les têtes inclinées.
Faux sommeil. Faux témoins. Ici, aucune joie pascale...
Il faudra attendre cette Madeleine de pauvre réputation[3] et ces disciples d'Emmaüs si pauvres qu'on néglige de nous donner leur nom[4] pour trouver les premiers témoins clairvoyants du Christ de Pâques. De même que les bergers furent les seuls présents dans la nuit de Noël, il semblerait que, sans négliger les Mages somptueux, il y ait je ne sais quelle harmonie préétablie qui facilite le cheminement des cœurs simples vers la lumière de Pâques.
Nous sommes à l'heure des techniciens. Et je n'entends autour de moi que de pertinentes recommandations :
- Il faudrait améliorer le rendement du blé à l'hectare. Voyez pour cela Messieurs les agronomes, C'est leur affaire.
- Il faudrait élever le niveau de vie ?... Voyez Messieurs les économistes c'est de leur compétence.
- Il faudrait enseigner les soins maternels et l'hygiène des nouveau-nés… Voyez Mesdames les Assistantes sociales, c'est leur spécialité.
- On ne dira jamais assez l'importance des spécialistes pour faire avancer l’humanité entière sur la route du progrès.
Mais à côté de la route, il existe aussi d'humbles chemins.
Il faudrait passer la nuit près de cet agonisant inquiet, ou visiter ce prisonnier sans visites ou écouter cet homme dont tout le monde se détourne.
Il faudrait trouver des religieuses infirmières pour cet hôpital que la Maison-mère va devoir fermer. Il faudrait quelques bénévoles pour apprendre quelques mots de français à ces manœuvres du bidonville portugais.
Alors ici ce n’est plus la spécialité de l'agronome, ni de l'économiste. Ce choix des plus pauvres, ce service des âmes les plus abandonnées, c'est un chemin secret. C'est un chemin ouvert à celui qui veut écouter autre chose que le tapage de ce monde et quelque chose « par surcroît ». C'est un chemin où il reconnaîtra les visages véritables des véritables pauvres : ces visages que les larmes et les souffrances ont peu à peu rendus transparents.
Et au bout de ce chemin-là, qui s'appelle le Chemin d'Emmaüs, et a travers ces visages-là, c'est un Autre Visage que vous rencontrerez : la Joie de Pâques, c'est en servant les plus abandonnés, le vrai visage du Christ finalement entrevu.
J.R.