Le carnet de Sidoine
Jean RODHAIN, « Le plombier et la petite frange de manteau », La faim des hommes. Documents catéchétiques, n° 29, février 1966, p. 1.[1]
Le plombier et la petite frange de manteau
Je viens d’éprouver une joie singulière. Mon dernier visiteur de la soirée a été un artisan plombier de banlieue. Ayant terminé son travail sous mon évier à la tuyauterie défaillante, il veut me voir, et aussitôt en homme de métier, il explique son cas :
J’ai cinq enfants. L’aîné a douze ans. Ils me cassent la tête depuis des mois avec les « Micros ». Une histoire de village en Haute-Volta, avec un puits à creuser et des outils agricoles à fournir. Vous savez ce que c’est ; ils économisent ici, et cela part là-bas pour lutter contre la faim. Mais une histoire qui a mis du plomb dans la tête de mes garçons. Ils ne gaspillent plus le pain à table. Ils me parlent de la brousse et de la culture du soja comme s'ils y étaient. Les « Micros », je ne les connais que par eux. Mais eux, mes garçons, les « Micros » ça les travaille, et bien. Et, comme vous, Monsieur Sidoine, vous écrivez dans le journal des « Micros », je voulais que vous le sachiez, voilà. À propos, votre évier il est réparé.
Ce témoignage inattendu d'un plombier de passage me remplit de joie. Et un plombier qui parle de plomb dans la tête, c'est un témoignage de poids...
Les Micro-réalisations furent lancées pour l'Afrique. Pour faire un travail au ras du sol, on a voulu se contraindre à de petites choses microscopiques. Mais ce sont les petites cellules qui fermentent le plus vite. Fermentation microbienne. Comme une levure, les Micros font lever des réalisations maintenant perceptibles de Dakar à Madagascar. Les experts en témoignent. Discutées il y a cinq ans, les Micro-réalisations sont homologuées par les Administrations africaines. La F.A.O. les inscrit à son actif. On les copie ici et là. Et comme on n'a pas déposé de brevet, tout va bien.
Elles sont faites pour aider l'Afrique. Et maintenant ça gagne les Indes. On prétend que la Charité c'est comme l’uranium, ça ne se manipule pas sans irradier. C’est un mystère.
Les Micro-réalisations sont une des humbles formes de la Charité, au ras du sol. Même les enfants perçoivent, au départ, qu’il y a dedans la Charité une certaine chaleur rayonnante. Je m’en doutais. le plombier me l’a dit en clair.[2]
Jean Rodhain, président de Caritas Internationalis
[1] Réédité dans Jean RODHAIN, Charité à géométrie variable, Paris, SOS / Desclée de Brouwer, 1969, p. 217-218 ; et sous le titre « Le carnet de Sidoine. Sidoine et le plombier », Messages du Secours Catholique, n° 177, septembre 1967, p. 2. (note de l'éditeur)
[2] Dans la version Messages du Secours Catholique, on trouve à cet endroit le paragraphe supplémentaire suivant :
« Pendant mes congés payés, j’ai entendu une conférence sur les rapports du développement et de la sociologie. Et sur la plage, j'ai trouvé un gros volume intitulé : "Comment initier l’enfance aux problèmes internationaux". Est-ce l’effet du soleil de cet été 1967, mais je suis incapable de me souvenir de la conférence, ni du volume, je l'ai entrouvert, et avoue ne l'avoir pas lu jusqu'au bout. Ces volumes sont certes excellents. Mais moi, j'ai l’esprit lourd et lent. Et des arguments de poids, comme celui du plombier, je m’en souviendrai. » (note de l'éditeur)