SOS Noël
Jean RODHAIN, « SOS Noël », Messages du Secours Catholique, n° 169, décembre 1966, p. 3.
S. O. S. Noël
Dans une ville d'Europe, j'assiste à un Congrès international. Le Président salue une centaine de Délégations venues des quatre coins du globe. On applaudit, et il proclame avec emphase : « Le monde entier est représenté ici. » (Applaudissements prolongés.)
J'ai eu envie d'éclater de rire. Comment ce Président et ces congressistes peuvent-ils, en toute bonne foi s'illusionner au point de croire l’humanité réellement représentée dans cette salle bien chauffée ?
Je regarde cette salle remplie de gens correctement vêtus, confortablement nourris, et généralement honorablement connus dans leur pays.
Mais je ne vois pas dans la salle : un seul aveugle, ni un seul paralytique, ni un seul prisonnier. Puisqu'il y a 1.000 congressistes dans celle Assemblée, il devrait y avoir, comme dans chaque ville, un certain pourcentage de prisonniers et d'infirmes. Voilà déjà une fraction de l'humanité absente.
Le monde entier totalise 3 milliards d’hommes dont plus de la moitié ont faim. Dans cette salle combien y a-t-il d’affamés des Indes ? - Pas un seul. Combien de réfugiés du Vietnam ? - Pas un seul. Combien de chômeurs du Pérou ? - Pas un seul.
Les millions de gens des bidonvilles et des favellas n’ont ici délégué personne. Les millions de chômeurs, et de malchanceux, et d'épaves, n’ont ici envoyé personne.
Ceux qui les dirigent, ceux qui les encadrent, ceux qui les évangélisent sont là, bien sûr.
Mais l'humanité souffrante est absente.
Elle est absente parce que ces lépreux et ces prisonniers, ces mal logés et ces faméliques n'ont ni les dollars leur permettant de déléguer un des leurs, ni les structures les autorisant à mandater l'un d'entre eux.
On congratule le Président. L'Assemblée se trémousse d'aise dans la certitude aveugle de représenter le monde entier. (Appl. prolongés.) Demain, les journaux, et dans huit jours, les revues chanteront la réussite de ce Congrès mondial. Et le public boira cette illusion en fermant les yeux comme il boit la publicité, les chansons et l'eau minérale.
Non, ce n’est pas vrai. L'humanité souffrante n’est pas représentée. C'est comme ces Congrès sur la civilisation étrusque : tout le Monde y parle, sauf les Etrusques, bien sûr, puisque leur race a disparut. Mais l’humanité souffrante n'est pas une archéologie, c'est mon frère d'aujourd'hui, c’est mon prochain. Et je serai jugé si je ne le vois pas.
Et voilà le rôle des « charitables » :
- Etre le porte-parole de ceux qui n’ont jamais la parole.
- Etre les mandataires instinctifs de ceux qui ne mandatent personne.
- Rendre présents quelquefois ceux qu'ont oublie toujours.
Le monde entier va fêter Noël. Le monde entier ? Voire !
Le bidonville sans vitrine, l'hôpital sans magasin, le Kérala sans récolte, tous ceux-là, non, ils ne fêteront pas Noël. Ils ne lanceront même pas un S.O.S.
S.O.S. c'est notre « Messages » on plutôt leur message !
J. RODHAIN.