La mémoire courte
Jean RODHAIN, « La mémoire courte », Messages du Secours Catholique, n° 180, décembre 1967, p. 6.
La mémoire courte
La déclaration, volontairement répétée, par laquelle j’affirme que le bombardement des femmes et des enfants dans les villages vietnamiens efface les plus belles phrases du Concile m’a valu 7 nouvelles lettres de blâme. Ces lettres s'appuient sur le raisonnement suivant : « Ces bombardements avec victimes civiles sont indispensables. Ils ont sauvé la France en 1944. Et en 1944 l’Église s’est tue. Donc taisez-vous aussi. »
Je réponds : « Je ne me tairai pas, et je ne fais qu'imiter l’Église qui ne s’est pas tue. A-t-on oublié qu’au moment où, pour libérer la France, les escadrilles américaines et anglaises entreprenaient ces bombardements qui firent 90.000 victimes civiles, l’Épiscopat français intervint solennellement auprès des Episcopats anglais et américains ? Ces textes[1] en faveur des « foules innocentes » sont des documents historiques[2]. Pourquoi n’en parle-t-on jamais en France ?
J. RODHAIN.
[1] Extrait de l'appel des cardinaux français à l’Épiscopat de l'empire britannique et des Etats-Unis (1er mai 1944)
« Au nom de tant de victimes qui crient pitié, nous osons vous demander instamment d’intercéder auprès de vos gouvernements respectifs pour que les populations civiles de la France et de l'Europe soient épargnées dans la mesure du possible. Nous sommes convaincus, en effet, que l'on pourrait distinguer avec plus de soin les objectifs militaires des humbles demeures peuplées de femmes et d'enfants qui les avoisinent...
Agissez, nous vous en supplions fraternellement, auprès des chefs responsables, pour que ne soient plus employés des procédés de guerre, qui, en frappant aveuglément des foules innocentes, en mutilant le visage de la Patrie, risquent d’engendrer entre les nations, des haines que la paix, elle-même, sera impuissante à calmer. »
[2] Cf. Message de S.S. Pie XII à Noël 1942 condamnant le bombardement des populations civiles.