Sur les chemins de Noël
"Sur les chemins de Noël", MSC, n° 268, décembre 1975, p. 3.
Sur les chemins de Noël
Dès les premiers Jours de décembre, Noël envoie déjà, l’un après l’autre, ses premiers ambassadeurs. Comme ils se ressemblent peu, sous leurs divers déguisements, ces cousins éloignés du Père Noël...
Pour Noël, foie gras, annonce dans ma revue hebdomadaire une pleine page en six couleurs. Tout y est, le poids précis, l’emballage soigné et le prix contre remboursement. Et pour aller avec le foie gras, voici que ce soir pour la troisième fois la voix de la radio me propose cette fameuse bouteille de ce grand vin, digne d’un réveillon. Pauvre Noël...
Une circulaire de la mairie dans mon courrier ce matin. C’est la municipalité qui m’informe qu’un arbre de Noël (hauteur 5 m 75) sera planté devant le marché couvert et que la rue de la Gare sera décorée de guirlandes électriques multicolores. Ce Noël laïque est glacial.
Visite ce dimanche du premier clerc de notaire. Il quête pour le repas de Noël des vieillards de l’hospice départemental. Le clerc présente un carnet à souche avec le même air crispé que pour faire signer un testament. Je n’agonise pas, mais je signe tout de même. C’est dix francs. Un petit grognement du clerc. Il a voulu dire merci, sans doute. Espérons que les vieillards de l’Hospice pour Noël auront autre chose que ce clerc. Pas gai en tout cas.
L’agence de voyage téléphone. C’est pour ma secrétaire. Pas question pour elle d’obtenir la chambre désirée à Courchevel. Tout est plein. Cette année elle s’y est prise trop tard. D’ailleurs toutes les stations d’hiver affichent complet. Cependant j’ai lu dans mon journal ce matin un sondage d’opinion alarmant sur le chômage. Je ne comprends pas. Curieux Noël 1975...
Nanette a sonné. Nanette a dix ans. Ses parents habitent sur le palier d’en face. Je suis allé ouvrir, Nanette avait besoin d’une boîte en carton. Une grande boite. J’en avais justement une. Nanette me remercie par un secret. Elle m’avoue (il ne faut pas le dire) qu’elle prépare pour le petit paralysé du 5ème un colis confectionné avec tout le budget de sa tirelire. C’est pour Noël. Ce sera, dit Nanette, mon Colis-Etoile. Et ce sont les yeux de Nanette qui sont pleins d’étoiles. Ces yeux de Nanette sont mon premier sourire de Noël.
Le facteur ne m’apporte ce matin que des factures. La fin du mois approche, chacun fait ses comptes. Il y a les réparations prévues. Les fournisseurs impatients. Et tant de rappels imprévus. Le ciel est noir en décembre : Noël des factures.
Quelle étrange visite j’ai reçue ce soir. Cette silhouette sans nom, il me semble l’avoir déjà aperçue parfois au fond de l’église, immobile derrière le dernier pilier.
Ce visiteur a très peu parlé. Mais pourquoi donc mon cœur était-il tout brûlant dès qu’il s’est installé ? Il n’a pas abordé les problèmes d’actualité, comme on dit. Mais chaque phrase était comme un reflet venant d’un autre que lui. Chaque mot semblait un écho d’une autre voix. On sentait une présence. Il avait le regard d’un vieux paysan. Ne serait-ce pas un berger revenant de la crèche ? Enfin voici un interlocuteur qui n’est pas rempli de soi-même.
Quelle douceur d’entendre enfin quelqu’un vous parler du Christ sans hésiter. Quel réconfort de rencontrer pour de bon un disciple qui ne rougit pas de son Maître.
Il a disparu sans rien dire de plus. Silence. Seigneur, je crois en vous : c’est maintenant pour moi véritablement Noël.
Jean RODHAIN.