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Interview Mgr Rodhain : une opération délicate mais nécessaire

31 août 2017
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Jean RODHAIN, « Interview Mgr Rodhain : une opération délicate mais nécessaire : le rapatriement des 4200 enfants biafrais réfugiés au Gabon ». Propos recueillis par Pierre Gallay. La Croix, 3 septembre 1970.[1]

Interview Mgr RODHAIN

« Une opération délicate mais nécessaire : le rapatriement des 4 200 enfants biafrais réfugiés au Gabon »

(Propos recueillis par Pierre GALLAY)

Il y a un an, on parlait beaucoup du drame biafrais. Puis, avec la fin du conflit en janvier de cette année, le silence s'est fait de plus en plus épais. Pourtant, les organisations de secours, et parmi elles CARITAS INTERNATIONALIS, ont continué inlassablement leur action. Aussi, nous avons demandé à Mgr Rhodain, président de la CARITAS INTERNATIONALIS, de nous faire le point de la situation présente dans l'ancien Biafra et aussi de nous parler d'un grave problème, celui du rapatriement de 4900 enfants biafrais réfugiés au Gabon.

Nous avons des nouvelles de l'ancien Biafra par deux sources différentes, nous a déclaré Mgr Rodhain :

Par les autorités officielles de Lagos d'une part : Croix-Rouge nigériane et ministère de la Reconstruction qui publient sur la situation des communiqués objectifs qui ne cachent pas les grosses difficultés éprouvées dans le ravitaillement et dans l'action sanitaire.

Par un de nos adjoints, d'autre part, qui vient de séjourner plus de quinze jours dans toute la région et a pu étudier de près la situation.

- Et quelle est cette situation ?

- C'est une situation très variée, suivant les villes et suivant les zones. Dans telle ville, le ravitaillement est normal. A 25 kilomètres de là, le ravitaillement parvient mal et les hôpitaux sont surchargés. Il faut donc se garder de généraliser les faits isolés que l'on peut citer.

Par contre, ce qui est général dans toute la région, c'est l'appauvrissement provoqué par cette guerre civile. Le premier appauvrissement provient de la monnaie : la monnaie biafraise ayant perdu toute valeur, est changée par le gouvernement, mais seulement à la cadence de 20 livres sterling par personne. Cet échange se fait à une cadence extrêmement lente. Aussi dans beaucoup de villages où les marchands haoussa, descendus du nord, étalent sur le marché leurs grains ou leurs étoffes, la vente est très ralentie parce qu'actuellement, le pouvoir d'achat des villageois est presque nul. Il faudra attendre les résultats de la prochaine récolte (octobre) pour que le petit commerce puisse se ranimer.

En outre, la majorité des écoles sont détruites ou pillées. Tout ceci crée évidemment une situation pesante.

- Y a-t-il un retour des populations victimes de la guerre dans les villes et les villages ?

- En janvier dernier, dans la semaine qui a suivi l'armistice, j'ai assisté sur place à un immense mouvement instinctif de retour au domicile. Sur toutes les routes, sur toutes les pistes, ce n'était qu'un cheminement continuel de familles quittant ce qu'on a appelé le réduit biafrais pour regagner leurs villages, qu'il s'agisse de leur province du Benin aussi bien que des faubourgs de Port-Harcourt ou de Calabar.

Cette opération s'est effectuée avec une rapidité surprenante. Par contre, si les agriculteurs ont repris rapidement l'exploitation de leurs champs, la réinsertion des fonctionnaires et des employés aussi bien dans l'administration que dans l'industrie pétrolière est encore loin d'être réalisée.

- Connaît-on l'état de santé des populations?

- Un rapport établi par la Croix-Rouge nigériane, pour Ia période du 7 mars au 6 juin, signale l'augmentation des cas de kwashiorkor dans certains secteurs. Ce rapport signale de même une diminution du tonnage de vivres et de lait distribué.

- Il demeure un problème important - celui des 4200 enfants de l'ex-Biafra réfugiés au Gabon, un problème qui est un cas de conscience : faut-il les rapatrier ?

- Etant donné ce qui vient d'être dit ci-dessus, il est évident que le rapatriement comporte un certain risque. Comme dans tous les cas de conscience, Il s'agit de peser le pour et le contre.

Ces enfants ne sont pas des orphelins. Ils appartiennent à une famille. Leur place normale est dans leur famille, dans leur milieu, dans leur tribu. Les laisser dans un camp artificiel, c'est fabriquer des « réfugiés professionnels » d'autant plus qu'au Gabon, pays qui souffre d'un chômage généralisé, on ne pourra trouver aucun emploi pour eux,

Il s'agit donc de prendre toutes les garanties possibles pour acheminer ces enfants dans celles des régions où la vie normale a régulièrement repris.

Il s'agit donc de prévoir pour ceux de ces enfants dont la santé reste encore maintenant précaire, des hôpitaux, des dispensaires, avec le personnel compétent, capable de les suivre régulièrement.

- Est-ce que le gouvernement nigérian est d'accord avec ces conditions de rapatriement ?

Le gouvernement nigérian a envoyé une mission d'inspection à Libreville qui a étudié ce problème. L'Union internationale de protection de l'Enfance de Genève a accepté la responsabilité de l'opération de rapatriement et a signé avec les autorités nigérianes un protocole d'accord extrêmement précis.

Nous estimons qu'actuellement le processus est engagé mais que, comme Il s'agit de 4200 enfants, l'opération demandera plus d'une année pour se réaliser.

- Il y a tout un courant de l'opinion française exprimée par exemple ici même par M. Raymond Offroy, ancien ambassadeur de France au Nigeria (voir la Croix du 26 août), qui estime que le gouvernement français devrait s'opposer à ce rapatriement. Qu'en pensez-vous?

Les courants d'opinion ne m'impressionnent pas du tout. Ce qui compte, ce sont les réalités. Première réalité : Nous nous trouvons en face d'un problème africain. Il doit être réglé entre Africains. En 1970, l'intervention d’un gouvernement européen est un pur anachronisme.

Deuxième réalité : Ces 4200 enfants actuellement réfugiés au Gabon sont confiés à la responsabilité de qui ? Sinon d'un consortium formé par Diakonische Werk (organisme protestant allemand) et Caritas Internationalis. C'est nous qui dans une réelle collaboration œcuménique assurons la totalité de l’hébergement, des soins médicaux, de l'encadrement et des énormes dépenses ainsi entraînées (65 millions d'anciens francs par mois).

Or, aussi bien Diakonische Werk que Caritas Internationalis, nous estimons que nous n'avons pas le droit de conserver ces enfants et qu'il nous faut les ramener dans leurs familles le plus rapidement possible, d'autant plus que, j'aime personnellement à prendre mes responsabilités - depuis la première heure, Caritas Internationalis préférait alimenter les enfants sur place, au Biafra et s'est toujours refusé de collaborer au déménagement de ces enfants vers Ie Gabon.

On arrive ainsi à cette situation paradoxale qu'ayant toujours refusé ce transport, c'est nous qui avons maintenant la charge de ces enfants transportés sans nous hors de leur pays.

- Que va-t-il se passer ?

- L'opération de rapatriement va donc se dérouler et elle se fera par étapes successives.

La première étape permettra aux autorités de Lagos et aux organismes responsables de mettre au point plus minutieusement les étapes suivantes.

Aussi bien au Gabon qu'au Nigeria, il y a dans les Croix Rouges locales, chez les missionnaires, chez les religieuses catholiques et protestantes, des concours précieux qui seront indispensables pour la réussite d'une opération délicate mais nécessaire.

 

[1] Réédité dans Nigéria Demain, n° 7, septembre-octobre 1970, p. 33-34.

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