La réalité "réfugié 1976"
« La réalité "réfugié 1976" », MSC, n°274, juin 1976, p.3.
La réalité « réfugiés 1976 »
A Domremy, Jeanne d’Arc « faisait donner l’hospitalité aux pauvres ; et elle préférait coucher devant l’âtre et que les pauvres couchent dans son lit » . Ce témoignage se trouve enregistré dans le procès de réhabilitation. Et j’imagine sur le chemin longeant la douce Meuse, le soir à l’heure du retour des troupeaux, le chemineau venant frapper à la porte de la maison réputée pour son accueil...
Cela se passait ainsi dans le petit village de Domremy au XVe siècle. Aujourd’hui où tout est affreusement mécanisé, qui donc a l’occasion d’offrir son lit à un réfugié de passage ?
Saint Paul annonce qu’en pratiquant l’hospitalité certains ont expérimenté des présences mystérieuses. Qui donc était-ce ? Mais si ma porte est toujours fermée, je perds tout risque d’une rencontre extraordinaire. Je rejoins l’hôtelier de Bethléem dans l’ornière des occasions perdues et des cœurs endurcis. Alors, je rapproche ces deux mots : hospitalité, réfugié, et je m’interroge sur ce qui me reste à faire...
« J’ai vu à la télévision des embarquements tragiques sur les quais de Saïgon. Mais c’était l’an dernier en avril. Y en a-t-il encore aujourd’hui ? C’est fini, n’est-ce pas, cet exode. » C’est la question cent fois entendue. Et cent fois, il faut rappeler que, depuis un an, chaque semaine, en France, les arrivées continuent. Le cap des 13.000 réfugiés est dépassé. Et les dossiers prévoient encore de nouveaux contingents. Mais parmi les coups de cymbales sur les grèves, le football et le tiercé, personne ne prête plus attention à cet inquiétant cortège qui, cependant, aboutit chez nous .
Ce réfugié arrive-t-il du Chili ou bien du Laos ? L’accueil de la municipalité - et celui de mon interlocuteur - varie suivant le cas. Cela dépend de la géographie ? Non, cela dépend de l’étiquette politique que chacun s’empresse, de la manière la plus simpliste, d’accrocher à toutes les questions : le Bon Samaritain n’avait pas prévu cet étiquetage systématique.
Voici un ménage Inconnu qui s’étonne de voir de très jeunes gens sortir de nos bureaux de triage et se diriger d’un pas hésitant, vers notre restaurant. Il faut expliquer que ces jeunes réfugiés dans ce Paris trépidant n’ont pas mangé depuis plusieurs jours. La secrétaire qui explique doucement cela est interrogée à son tour : le ménage inconnu découvre que cette jeune Cambodgienne qui nous sert d’interprète est la seule survivante de sa famille disparue dans la tragédie de Pnom-Penh. Le ménage inconnu ayant touché du doigt la réalité « réfugié 1976 » nous propose aussitôt d’adopter un enfant, de parrainer un étudiant. Le public a bon cœur. Mais il ne sait pas...
Il ne sait pas. Il enregistre en noir et en couleur mille fois plus d’images et de mots que ses grands-parents. Mais dans ce déluge où est la voix de celui qui ne dispose ni d’un micro ni d’un journal ? Voilà une des pauvretés modernes : ceux pour lesquels les puissants haut-parleurs de l’opinion ne parlent pas. C’est pour plaider en leur nom que « Messages » existe. C’est pour ceux-là que « Messages » depuis trente ans tisse un extraordinaire dialogue.
Il suffit d’étudier l’énorme courrier quotidien qui nous arrive. Il suffit de dépouiller les chèques postaux chaque matin : chaque numéro provoque une vague de questions. Chaque parution déclenche avec une régularité étonnante un afflux de lettres et de chèques pour tant de catégories de misères. Nous sommes bien loin de la douceur de Domremy avec sous les yeux l’hospitalité exemplaire de la famille d’Arc. Nous risquons de ne pas percevoir ces gens qui passent d’un aéroport à un centre de triage : les nouveaux réfugiés d’Extrême Orient. C’est pourquoi dans ce numéro plusieurs pages leur sont consacrées.
Un périodique qui se spécialise dans la voix des pauvres, c’est contraire à toutes les lois de la publicité.
Alors, comment ne pas remercier les abonnés de « Messages » qui donnent une telle preuve de fidélité aux équipes nationales et locales qui animent ce journal ?
Du Guatemala au Liban, des Micro-réalisations aux réfugiés, c’est un travail de fourmilière qui, petit à petit, grain par grain, se réalise, ou plus exactement : que vous réalisez.
Merci.
Jean RODHAIN