Extraits choisis : Le Carnet de Sidoine
A l'occasion des 40 ans de la mort de Jean Rodhain, voici quelques extraits écrits par cette grande figure.
"Le carnet de Sidoine", MSC, n°269, janvier 1976, p.2.
- Je me représente la Charité comme une vertu vénérable mais qui aurait bien besoin d'être dépoussiérée. Qu'en pense Sidoine ?
Réponse :
- Si la Charité était une statue en plâtre immobile dans la niche d'une cathédrale, elle aurait besoin, comme toutes les statues, d'un coup de brosse et d'un aspirateur à poussière.
Mais la véritable Charité n'est pas une statue immobile. C'est une vivante, les cheveux au vent, œuvrant dans les courants d'air de la vie quotidienne, aux prises avec de multiples travaux d'intervention et de partage. On n'amasse point de poussière à ce régime.
Si certains conservent dans leur mémoire une antique figure périmée, c'est un devoir pour une Charité 1976 de présenter un autre visage. Un visage attentif à la télévision qui informe sur les situations du tiers-monde. Un visage éveillé aux besoins des nouvelles pauvretés. Un visage dont le sourire soit capable de comprendre la famille du prisonnier comme celle de l'immigré : il y a une manière de regarder qui permet de deviner les misères cachées sans les souligner ni les blesser. Cet accueil, cette attention ont sans cesse besoin de se raviver, de se rajeunir, de s'adapter.
"Le carnet de Sidoine", MSC, n°232, juillet-août 1972, p.2.
L'architecture est-elle en 1972 une notion dépassée sous prétexte qu'on utilise le béton, plutôt que la pierre de taille ? Qu'il s'agisse des pyramides d'Égypte ou des cathédrales gothiques, ou de la tour Montparnasse, ces édifices divers restent des problèmes d'architecture. Le matériau varie, la technique se perfectionne, mais l'architecture demeure.
De même pour la Charité. Ses moyens varient, son champ d'application s'amplifie, mais la notion demeure : la Charité est une réalité.
Dès qu'on abandonne l'emploi des termes exacts, on abandonne du même coup les idées.
L'homme de 1972, qui fait du 160 avec sa voiture, exige pour cette voiture des pièces exactes au millimètre près : mais il recule devant certains mots exacts et il tremble de les employer. Rapide comme un lièvre, cet homme moderne est peureux comme un petit lapin.