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Sidoine et le stratège

28 août 2017
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Jean RODHAIN, « Sidoine et le stratège », Messages du Secours Catholique, n° 154, juillet-août 1965, p. 1.

Sidoine et le stratège

Le colonel :

- Pour faire du mal à l’ennemi, ce qui est le propre de la guerre, on a découvert des armes nouvelles. On n’utilisera plus l'arbalète de 1350, ni le fusil de 1939, mais la force de frappe : le « Mirage » et sa bombe atomique. Au service de cette force, il nous faut donc une armée de spécialistes et de techniciens. C’est évident.

Je m'étonne, Sidoine, de vos lenteurs à comprendre des choses cependant si claires.   

Sidoine :

- Ce qui est clair, pour moi c'est que les Vietnamiens, sans chars ni avions, ont gagné Dien-Bien-Phu et qu'en Algérie, notre armée victorieuse, bourrée de spécialistes et de techniciens, a finalement reçu l’ordre de se replier devant un adversaire sans chars ni avions. Et il me semble que, pour l'instant, les Américains, avec un luxe inouï de matériel moderne éprouvent, à leur tour, certaines difficultés avec des Vietnamiens sans avions...

Le colonel :

- Tout s'explique par l'expérience des maquis. Quand le peuple se réveille, quand l’opinion est galvanisée, la démocratie secrète une armée populaire, partout présente et partout insaisissable : c'est la « Résistance » des civils. Et un vrai « résistant » n’est déjà plus un civil. Il combat à sa manière : un pont qui saute, un ravitaillement qui échoue, une usine qui ne tourne plus : il y a mille façons de frapper l'ennemi « dans ses œuvres vives ».

Une force de frappe serait inutile si elle n'était doublée soutenue, animée par un réseau de maquisards accrochés à chaque route, à chaque village. Il faut, à côté de l'armée de métier, une armée dans la vie, « ... ces combattants ne peuvent agir que si la population tout entière ou tout au moins dans son immense majorité, les appuie, les aide, les éclaire, les renseigne, les ravitaille, avec tous les risques que cela comporte. Il n'y a donc de Résistance qu'avec le soutien populaire, c'est-à-dire, en bref qu'il n'y a de Résistance valable que « populaire »[1].

Sidoine :

- Si je comprends bien, la nouvelle loi militaire française, en écartant la seule armée de métier, n’est que l’application de votre théorie ?

Le colonel :

- Ce n'est pas une théorie, c'est une profonde Philosophie. Plus l'État  se perfectionne, plus il a besoin de citoyens doués du sens de l'Etat. Plus la médecine se spécialise, plus, les individus doivent posséder eux-mêmes le sens de l'hygiène. Plus la nation veut frapper à la tête son agresseur, plus chaque village doit devenir agressif.

Cette synchronisation entre la force de frappe moderne et la constitution d'un réseau ramifié de volontaires est le fin du fin de la stratégie. Il n'y a que nos faux progressistes à ne pas le comprendre.

- Pourquoi riez-vous, Sidoine

Sidoine :

- Vous auriez des militaires « progressistes » ?

Le colonel :

- Hélas! oui, nous avons quelques esprits courts, idolâtres de la bombe atomique au point d'oublier le soldat, obsédés par les progrès techniques au point de négliger la formation de la jeunesse. Or, à quoi bon dépenser mille milliards pour vaincre, si le pays avachi se déclare vaincu d’avance ?

Certains de nos hyper-progressistes étoilés négligent la formation de l’homme qui commence par une lutte quotidienne dans les petites choses.

Mais enfin, Sidoine, je m'étonne de cet intérêt inattendu pour la chose militaire, et pourquoi ce sourire sarcastique quand je parle de nos progressistes ? En auriez-vous chez vous aussi ?

Sidoine :

- Hélas !

Le colonel :

- Mais dans votre métier - si j’ose parler ainsi - Sidoine, les techniques charitables et les équipements sociaux ont réalisé des progrès aussi rapides que notre armement et notre aviation. Malgré cela, chez vous aussi, tout dépend en fin de compte de la valeur du combattant, je veux dire du simple fidèle. C'est évident.

Sidoine :

- Pas pour tous.

Le colonel :

- Pour faire du bien au prochain, et je reprends ma première phrase en la retournant, pour faire du bien au prochain, ce qui est le propre de la charité, on a inventé des techniques nouvelles. Mais plus la charité devient efficace au service du Tiers-Monde, plus elle veut devenir, contre la faim, une «  force de frappe », plus elle a besoin d'un réseau ramifié. Votre véritable force de frappe, c'est le : « Voyez comme ils s'aiment » qui a vaincu les païens.

Je reprends ma citation : « ... ces combattants ne peuvent agir que si la population tout entière ou tout au moins dans son immense majorité les appuie, les éclaire, les renseigne, les ravitaille, avec tous les risques que cela comporte.

Il n'y a donc de charité qu'avec le soutien populaire, c'est-à-dire, en bref, qu'il n’y a de charité valable que populaire. »

Sidoine :

- C'est la seconde fois, mon colonel, que vous citez - mais cette fois-ci en changeant un mot - cette phrase plus lumineuse que les homélies de mon vicaire ; mais de quel Père de l'Église est cet axiome si collégial ?

Le colonel :

- Il a pour auteur le Général d'Armée Ailleret qui n’est rien moins que le Chef d'État-Major général de l'Armée française[2].

Sidoine :

- Mon colonel, je ne savais pas qu'il existait chez les militaires tant d'axiomes applicables aux pacifiques.

Le colonel :

- Vous devriez embaucher un de nos stratèges. Je le verrais très bien comme expert au futur Concile Vatican III bis pour exposer l'importance, dans « l'Église présente au monde actuel », des petits gestes charitables de chacun des fidèles.

Sidoine :

- Ne voyez pas si loin, mon colonel. Votre témoignage est précieux dès aujourd'hui. Il va réconforter ces milliers de dévouements obscurs qui sont l'enracinement de l'authentique charité dans le milieu de vie. Merci mon colonel...

p.c.c

Jean RODHAIN.

 

[1] Général d'Armée Ailleret, « Évolution nécessaire de nos structures militaires ». (Revue de Défense Nationale, numéro de juin 1965, p.954).

[2] Voir (1).

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