Vendredi pas mort
Jean RODHAIN, « Vendredi… pas mort », Messages du Secours Catholique, n° 173, avril 1967, p. 4.[1]
Vendredi pas mort
Le Carême terminé, chaque vendredi on peut désormais « manger gras » Le cuisinier de l'hôtel en est ravi. Le marchand de poisson en est marri. Mais tous deux sont d'accord sur un point : « Vendredi est mort ».
Le curé en chaire, le vicaire au catéchisme essayent de remonter le courant. En expliquant : le vendredi reste chaque semaine le jour de la Pénitence. Mais au lieu de faire pénitence en vous privant de beefsteak ou de jambon, vous devez faire pénitence autrement. Et ils ont raison : c'est exactement le sens des décisions romaines[2].
Mais comment faire pénitence « autrement » ?
Ici Il a deux sortes d'écoles.
D’abord l’école des I.P.D. les Intellectuels de la Psychiatrie Diffuse. Ils enseignent que vendredi, il faut mettre de l’esprit de pénitence diffusé dans toute la journée, ce qui est très bien.
Mais comme les hommes (et les femmes) ayant le vendredi comme les autres jours 36 occupations, n'ont absolument pas le temps de se faire des piqûres intraveineuses d'esprit pénitentiel ce jour-là plus que les autres jours, le résultat est nul. On songe à Gribouille supprimant l'ampoule électrique du plafond et déclarant : ayez en vous l'esprit de lumière. Résultat : c'est la nuit.
La seconde Ecole pense qu'on ne supprime que ce que l'on remplace. Les gens ont besoin de gestes concrets et précis. Si vous enlevez les bornes kilométriques et les plaques de rues en recommandant aux passants d’avoir l’esprit d’orientation, ils se perdront. Une usine où l'on supprimerait l’horaire de travail et les programmes de fabrication, sous prétexte de perfectionner « l’esprit » de travail, ne produirait plus rien.
Si on veut diffuser une marque d’essence, l’a.b.c. consiste à placer des pompistes au bord de la route. Si on veut diffuser l’esprit de pénitence le vendredi, il faut placer ce jour-là des occasions visibles, perceptibles palpables, précises, à la portée de tous : hommes, femmes, enfants.
Vous me direz que je suis terre à terre ? Je vous répliquerais que pour le plus céleste des mystères : la Rédemption, la Trinité a voulu une croix en bois et quatre clous en fer, et une lance, et une éponge, et du vinaigre. Et que ces signes concrets du Mystère rédempteur ont marqué le Vendredi saint et tous les vendredis de tous les calendriers. Alors je crois aux signes.
Il a suffi de trois lignes imprimées pour supprimer le maigre. Il faudra vingt ans de pédagogie pour remplacer le maigre par d'autres privations adaptées au XX° siècle finissant.
Déjà dans divers pays les épiscopats suggèrent des actes précis.
Parmi ces initiatives, Sidoine s'est lancé dans les signes de la table. Il a dessiné des napperons. Voici les spécimens : ils sont parlants. Sidoine a aussi dessiné des pochettes à serviettes. Elles sont à double déclenchement. Sur la couverture on souhaite bon appétit pour tous les jours de la semaine. Mais il manque un jour à cette semaine. on ouvre et on trouve à l'intérieur le vendredi avec le mot « Partageons ». Ca ne vous coupe pas tout à fait l’appétit. Mais c’est un signe, ou si vous préférez, un signal...