La formation à l’Apostolat par la Charité
Jean RODHAIN, « La formation à l'Apostolat par la Charité », Messages du Secours Catholique, n° 72, novembre 1957, p. 2.[1]
La formation à l’Apostolat par la Charité
Au Congrès mondial de l'apostolat des Laïcs, à la séance plénière du 8 octobre, ont pris la parole :
- Son Exc. Mgr Larrain, vice-président da Conseil Episcopal de l'Amérique Latine ;
- Le Prince Karl Zulowenstein, président du Catholikentag allemand ;
- Mgr Rodhain, secrétaire général du Secours Catholique.
Voici le texte de cette dernière intervention.
Le fait : Nous avons manqué à la charité
Dans un pays d'Europe centrale, sous régime communiste, un prêtre a été mis en camp de concentration, le 13 avril 1950, avec plusieurs centaines de ses confrères.
Ils ont cherché ensemble pourquoi leur pays avait glissé si vite vers le communisme. Dans un chapitre intitulé : « NOTRE FAUTE », ils exposent les fautes du clergé.
Avec ce recul que donne la captivité, ils mettent en avant, parmi trois autres raisons, la déperdition de la charité : « NOUS AVONS "NÉGLIGE" LA CHARITÉ ! »
En lisant cet examen de conscience si pondéré, si loin de toute exagération, on est frappé de sa précision.
II ne s'agit pas d'oublier tout d'un coup cette chaîne d'or invisible qui, d'une manière permanente, relie dans l'Église les actes charitables insoupçonnés. Pendant qu'ici je prononce des mots, je n'oublie pas l'infirmière, religieuse ou laïque, qui soigne, lave, nourrit, nuit et jour, ses malades. La mère de famille qui s'inquiète, soigne, nourrit, lave ses enfants trop bruyants ou le grand-père impotent : le voici l'exercice quotidien de la charité, sans phrases, sans mots, sans discours, sans même parfois que cette mère de famille réalise, qu'en fait, toute sa vie n'est que charité maternelle.
Non, il n'est pas question d'oublier cet exercice obscur et permanent de la charité.
La question est celle-ci : lorsqu'il faut préparer un enfant ou un militant, parmi les activités apostoliques si variées de nos jours, et si opportunément variées, quelle place faisons-nous à l'activité charitable ? Quelles perspectives lui ouvrons-nous vers une vocation charitable ?
La preuve : importance de la charité dans l'apostolat rappelée par le Souverain Pontife d'une manière de plus en plus pressante
NOUS avons manqué à la charité. Si on me dit que ma question est téméraire, si on me dit que d'autres activités peuvent supplanter cet exercice, si on me prouve que l'État assume - heureusement - dans très peu de nations encore - des charges qui, autrefois, relevaient de l'assistance charitable, si on vient mettre en doute l'opportunité de la charité personnelle, et même le mot - alors je me réfugie derrière les textes pontificaux.
Voici le message de Noël 1952, tout entier consacré à la misère et aux formes de la charité : ses nouvelles structures internationales, le caractère permanent de l'exercice humble, personnel de la charité.
Et, depuis, des textes de plus en plus pressants sur la place de la charité.
« En ce siècle, non moins qu'au temps de saint Paul, le monde actuel a besoin de charité »[2]. Cette phrase est comme le refrain d'un discours d'il n'y a pas trois mois, adressé par le Souverain Pontife au premier Congrès National Italien pour l'Emigration.
« ... C'est ainsi que l'apôtre des Gentils, auquel la sublime compénétration dans l'esprit du Christ dicta l'incomparable hymne à la charité (cf. 1 Cor. 13), put dire de lui-même : « je me suis fait faible avec les faibles… Je me suis fait tout à tous, afin de les sauver tous. » (Ibid. 9,22). « Se faire tout à tous, voilà la règle pratique et quotidienne de tout apostolat, en particulier du vôtre, qui a comme objet, dans la plupart des cas, des personnes à qui tout manque et qui attendent l'aide en tout »[3]
L'idée est reprise, et combien longuement développée, dans un document qui ne date pas même de huit jours, le discours du Souverain Pontife à l'Union Mondiale des Femmes Catholiques :
« Vous savez bien que l'apostolat catholique n'est pas la simple transmission d'une doctrine, d'un ensemble d'exposés dogmatiques et de règles de conduite. Pour nécessaire que soit un tel enseignement, il ne fait que poser un fondement : l'essentiel est dans la pratique de ces vérités, dans la charité vivante, inspiratrice des œuvres et requise absolument pour la plénitude de la foi ».
L'opportunité rappelée par l'Histoire de l'Église. Vers le diaconat de l'an 2000
L'ÉTUDE de la charité, la recherche d'une pédagogie de la charité est opportune, enfin, parce que nous devons préparer le diaconat de l'an 2000.
Qu'a fait l'Église primitive ? A partir du boiteux guéri par Pierre à la Belle-Porte, combien de versets des Actes sont consacrés à cette activité apostolique de forme caritative ? Les diacres, à la frontière du laïcat n'ont-ils pas été des piliers de tout l'apostolat primitif ?
Depuis lors, l'histoire de la Charité dans l'Église, non seulement se confond avec l'histoire de l'Église, mais elle a toujours eu un rôle de Jean-Baptiste. La Charité d'aujourd'hui, c'est la Justice de demain. La Charité a le regard du Précurseur. Elle devine les besoins, les attentes des apôtres de l'an 2000. Qui donc s'avancera pour aimer et chanter le monde des atomes - mon frère l'Atome - et des réactions nucléaires, comme saint François a chanté le Seigneur reflété dans le Soleil et la Lune ? Est-ce de la poésie ? Que non pas. Les institutions internationales d'après-demain demanderont des responsables. Ces responsables auront entre les mains la nourriture ou la faim de continents tout entiers. Où est le saint Augustin moderne qui va nous dessiner l'architecture hardie d'institutions charitables permettant à l'Église de l'an 2000 d'être présente au service des Apôtres et de l'apostolat, comme l'étaient les diacres de la primitive Eglise ?
L'histoire d'hier et celle de demain réclament l'exercice d'une charité sans cesse adaptée, sans cesse approfondie.
Et je n'ai pas dit un mot, pas un seul, des réalisations charitables actuelles. Je l'ai fait exprès, car, en fait de réalisations, je crois de plus en plus à ce travail intérieur de la Charité construisant l'Apostolat.
Voici mon voisin, non seulement malade, mais sa poliomyélite, déclarée sans remède, évoluera en trois mois. A cet agonisant, que pourra apporter la justice ? La justice sociale l'aura efficacement aidé pendant toute sa vie, mais en cet instant - et nous serons tous un jour ou l'autre cet agonisant - elle n'a plus rien à dire. Voici mon autre voisin que sa femme abandonne, le voici subitement seul avec ses trois enfants et son chagrin. Ce chagrin, aucun médicament, aucune législation sociale ne saura l'alléger. Sa peine - et toute vie d'homme est une longue peine - échappe à tous les systèmes politiques, techniques ou sociaux.
L'un ou l'autre de ces voisins, qui les aimera assez pour qu'à la figure de celui-ci ils reconnaissent l'économie de la Rédemption ? Qui aura assez le reflet du Rédempteur aimant pour leur faire deviner le Rédempteur présent ? Celui-là, à force de s'y donner et de s'y astreindre, vous me dites qu'il pratique la charité. Non Je dis que la charité le pratique, l'agit. On dit qu’il exerce la charité. Non. Je dis que la charité l'exerce.
L'exercice de la charité authentique fait croître la vie chrétienne chez Ie laïc qui s'y livre. Dieu est charité. Dieu creuse et distend l'âme de celui qui se livre à la charité ou à Lui. La charité est un mystère. L'exercice de la charité est à la fois un ascétisme et une contemplation. Voilà pourquoi l'exercice de la charité est un moyen - et non des moindres - de croissance de la vie chrétienne chez les laïcs d'aujourd'hui.
Mgr Jean RODHAIN
[1] Ce texte a été publié dans les actes du Congrès sous le titre : "Charité, exercice de la charité, moyens de croissance de la vie chrétienne chez les laïcs d'aujourd'hui" dans : "Les laïcs dans l'Église", vol.1. Rome : Editions du Comité Permanent des Congrès internationaux pour l'Apostolat des laïcs, 1958, pp.206-209. (note de l’éditeur)
[2] Discours du 13 juillet 1957 du Souverain Pontife au Premier Congrès National Italien pour l'Emigration.
[3] Pour la Semaine Pastorale de Florence sur la Charité (sept. 1957). La lettre de Mgr dell Acqua au cardinal Dalla Costa.