A l'ombre de Westminter
Jean RDOAHIN, « A l'ombre de Westminster », Messages du Secours Catholique, n° 32, juin 1953, p. 1.
A l'ombre de Westminster
Par la fenêtre ouverte, on aperçoit descendre lentement dans la brume de Londres, les admirables décorations du Couronnement. Des groupes d'ouvriers détachent et font glisser vers le sol les scintillantes arcades que chacun a vu sur l'écran des actualités.
Et tandis que LONDRES, sans décors, continue à célébrer sa reine par des festivités plus discrètes, mais non moins ferventes, ce bureau travaille depuis quarante‑huit heures.
Devant moi, l'Américain propose quelques milliers de réfugiés disponibles à HONG‑KONG. Ils sont apparemment sans aucune valeur utile, car il s'agit de vieillards et d'infirmes.
Trois délégués nationaux acceptent ‑ pour leur pays ‑ d'en prendre une part en charge.
Maintenant, c'est le tour des réfugiés en attente à TRIESTE, pour qui plaide le délégué espagnol.
Le Japonais donne le bilan « sinistre » de sa récente inondation. Il faudrait des secours massifs. Le Hollandais rend compte minutieusement des secours arrivés et répartis.
La table est ainsi sans cesse traversée par des cortèges de misères. Ce bureau est un carrefour de fantômes ! Personnes déplacées et affamées défilent par cent et par mille. Ce n'est plus le pauvre homme sur le trottoir d'en face, c'est la misère à l'échelle de la mappemonde que cette douzaine de personnes tient à bout de bras.
Et je ne rêve pas. Ce bureau, pendant trois jours, va ainsi fonctionner à l'ombre toute proche de Westminster : c'est le Comité Exécutif des Charités Internationales[1].
Ce bureau ne pèse pas seulement l'humanité douloureuse de ce jour. Voici la terrible lettre des charités japonaises qui, devant les besoins de leur peuple innombrable, parle déjà, pour demain, d'une « légitime guerre »[2] (2). Voici l'Afrique qui bascule vers l'industrialisation et nous crie sa misère prête à changer de ton. Appel désespéré des Coréens parce que 1960 sera plus dur que 1953.
Devant cette table, des années prochaines surgissent sans aucun masque mondain, avec un seul refrain : « J'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger... »
Et autour de cette table, il y a douze délégués, c'est‑à‑dire moi, mais vous aussi, car chaque délégué représente ceux de son pays.
Solidarité nouvelle puisque cet organisme international compte à peine trois ans. Nouvelle, mais rigoureuse, car aux balances de la justice divine, nous ne pouvons pas prétendre, en 1953, ignorer ce qu'en un clin d'œil la radio nous dit du frère lointain.
Solidarité effrayante pour un tel poids à porter.
Au désert, devant la famine, l'Arabe prie.
Au spectacle des misères de toujours, le psalmiste prie. Pour ceux de ce Comité, et pour nous tous, et pour vous tous qui avez cette écrasante charge de nos frères, si nous quêtions une prière au Seigneur Maître du Monde, et du blé, et du pain, et de l'Amour
Mgr Jean RODHAIN