« Le paletot du petit a les manches trop courtes, il est temps de lui en acheter un neuf »
Jean RODHAIN, « Le paletot du petit a les manches trop courtes », Messages du Secours Catholique, n° 80, juillet 1958, p. 1.
« Le paletot du petit a les manches trop courtes, il est temps de lui en acheter un neuf »
Aux rives de ce cinémascope séculaire et gratuit qu'est le lac des Quatre-Cantons, dans le charme accueillant de la Caritas Suisse, s'achève une session de formation[1] de la Caritas Internationalis.
Un des experts commente les chapitres de la deuxième Epître aux Corinthiens consacrés aux collectes. Vous avez déjà vu au travail ces restaurateurs de tableaux anciens : ils ont leurs secrets pour dissoudre les vernis, enlever les fumées, décrasser les multiples couches de poussières. avec des gestes de chirurgiens, ils vous restituent la fraîcheur et le relief lumineux de la peinture primitive. A entendre cet expert, je me croyais chez un restaurateur de ce genre. Dans la fresque consacrée par saint Paul aux quêtes pour la famine de Jérusalem, derrière ces 39 versets[2] de consignes méticuleuses sur la collecte, et son acheminement ponctuel à destination, on voyait peu à peu apparaître un filigrane autrement lumineux qu'un problème d'intendance et de comptabilité. Paul veut prouver sa fidélité à l'Église de Pierre et des douze apôtres. Paul veut que ses chrétiens tout neufs, hier païens de cette Corinthe méprisée, sachent, sentent, perçoivent qu'avec ce don offert ils entrent dans le rythme vivant de l'Église. Avec cette collecte, ils rejoignent Pierre guérissant au nom du Christ Ie boiteux de la Belle Porte. Avec ce partage, ils rejoignent aussi Jean reposant sur l'épaule du Seigneur pour les confidences du Jeudi de l'Agonie déjà commencée. Oui, le Christ, c'est vraiment le pain partagé.
Cette lumineuse restauration - j'allais dire cette mise en relief sonore - de l'Épitre aux Corinthiens n'avait rien d'une théorie dans les nuées : par les fenêtres nous apercevions à deux pas un de ces ravissants chalets de montagne transformé par la Caritas Suisse en home pour réfugiés. Il était rempli de vieillards arrivés de Hong-Kong, de Budapest, et de Belgrade. Cette chaîne interminable d'institutions charitables en terre chrétienne, qui donc la paye et la finance ? On ne peut nommer personne : ce sont les chrétiens. C'est l’Église.
II reste, me direz-vous une masse de chrétiens aveugles qui ne participent pas à ce partage du pain ? C'est pour essayer de les convaincre que je viens aujourd'hui, à la veille de vos vacances, vous demander de faire chacun, cet été, un abonné de plus à ce journal « Messages ». L'expérience, les statistiques nous prouvent que la lecture régulière de ce document conduit à s'intéresser à la misère, et pour certains lecteurs qui croyaient deviner la misère, c'est encore une découverte de connaître celle du monde entier.
Sidoine, mon secrétaire sacristain, est dans ses jours amers. Il sait qu'à ma demande je vais ajouter un deuxième argument. Il le connaît. Et il ricane car il le trouve moins noble que le premier.
Je lui réponds qu'avec des comptes exacts on rejoint aussi l'Évangile qui est la première noblesse. Je lui ouvre successivement Jean, Luc, Marc et Mathieu dont les pages concordent exactement, et avec la même comptabilité précise tous les quatre, pour le récit curieusement chiffré de la première multiplication des pains. Avant le miracle, Notre Seigneur fait ranger la foule par groupes exacts de 50 et de 100[3] (enquête sociologique). Il fait recenser les ressources disponibles : cinq pains d'orge et deux poissons[4] (budget). Il se fait présenter le total assemblé : cinq mille hommes et leurs familles[5] (statistique). Et après le miracle, il exige la comptabilisation du stock restant : douze corbeilles[6] (bilan). C'est de la méthode, ou je ne m'y connais pas. Je prouve à Sidoine que le miracle ne dédaigne pas la méthode, et qu'il reste une thèse à préparer sur l'administration du premier Collège apostolique et sur les ressources des Apôtres d'après l'Evangile. Sidoine ayant presque l'air convaincu, j'ose enfin aborder mon second argument.
Il est simple : ce journal a commencé petitement. En 1948, il y a 10 ans, il avait 10.000 abonnés. Ce numéro de juillet 1958 servira 377.000 abonnés directs. Ce qui fait qu'en 1958, «Messages» consomme 210 tonnes de papier; ce message de charité représente un convoi de 90 camions de 3 tonnes de papier chacun.
D'autres journaux ont un tirage supérieur. Mais ils se vendent dans la rue. Ou bien ils sont adressés par petits paquets à des distributeurs locaux. «Messages» sert personnellement et directement chaque mois 377.000 abonnés distincts. Les spécialistes disent que nous ne sommes pas nombreux en France à atteindre ce record. Il procure au Secours Catholique les moyens d'agir, car la famille des lecteurs est la première source de tous les secours distribués.
Mais cela pose un problème d'équipement. II y a des erreurs dans les envois. Il y a des retards dans certaines expéditions. Nous avons fait appel à des spécialistes : ils ont tous le même diagnostic : le service responsable ne s'attendait pas à un tel succès. Il n'a plus le matériel, ni l'emplacement adapté à un tel tirage. On a accumulé les machines. On a atteint la limite de capacité des bureaux. Le travail de préparation - de correction - de mise à jour continuelle de 377.000 adresses, malgré le dévouement de son équipe, a besoin d'air et de place.
« Le paletot du petit a les manches trop courtes, il est temps de lui en acheter un neuf », pense la mère de famille. Elle Ie pense, mais elle ne l'achète pas, car elle cherche à faire servir le vieux le plus longtemps possible.
Je fais de même. Mais le Conseil d'administration du Secours Catholique, lui-même, a estimé que la limite était dépassée. Pour «Messages» il fallait un nouveau local.
Le Conseil d'Administration a pris le risque de l'acheter, mais il m'a donné mission de vous dire au moment où nous entrons dans l'été : « Si chacun de vous, pendant ses vacances, voulait bien profiter de son voyage, de ses rencontres, pour faire un, un seul abonné de plus, c'est vous qui auriez gagné cette bataille que nous livrons ».
Merci.
Mgr Jean RODHAIN.
[1] Commission du Programme. Point IV. Formation des Cadres responsables.
[2] II Cor. VIII, 1-24, IX, 1-13.
[3] Luc IX, 13 - Marc VI, 39.
[4] Luc IX, I3 - Marc VI, 38 - Mat. XIV, 17 - Jean VI, 9.
[5] Luc IX, 14 - Marc VI, 44 - Mat. XIV,21 - Jean VI, 10.
[6] Luc IX, 17 - Marc VI, 43 - Mat. XIV, 20 - Jean VI, 13.