L’hospitalité
Jean RODHAIN, « L'hospitalité », Messages du Secours Catholique, n° 76, mars 1958, p. 1.
L’hospitalité
« Voulez-vous être accueillant et miséricordieux envers les pauvres, les voyageurs et tous les nécessiteux ? »
Voilà une question précise. Admirez les termes employés. Pour ces pauvres, ces voyageurs, ces nécessiteux, on ne parle pas de choix ni de tri. Il n'est pas question des pauvres "intéressants". Il ne s'agit pas des seuls voyageurs "méritants", de ceux des nécessiteux sur lesquels une enquête sociale a fourni un dossier bien correct. Il s'agit de tous, sans exception aucune. Et pour cette foule indistinctement, la question est posée au candidat avant de l'admettre. « Voulez-vous être accueillant et miséricordieux ? »
Accueillant, c'est facile. Il n'y a que la porte à ouvrir et l'hospitalité à donner. C'est l'ABC de tout professionnel de l'hôtellerie.
Miséricordieux, c'est autre chose, et beaucoup plus que l'accueil. C'est admettre miséricordieusement celui qui ne mérite pas l'Accueil, qui en abuse, qui en abusera encore.
C'est ouvrir son cœur jusqu'à ce que le cœur de l'autre cède, enfin vaincu par tant de confiance ; et même l'ouvrir encore tant que l'autre se barricadera dans une misère imperméable à la miséricorde.
J'entends protester tous les "gens raisonnables". Ils haussent déjà les épaules devant tant d'illusions. Qui donc possède assez de naïveté pour faire prendre un tel engagement ? Qui donc leur propose un tel programme ?
Qui donc ? Mais l'Eglise.
Et à qui ? A une jeune fille ayant une petite vocation d'infirmière ?
Pas du tout.
C'est avant de consacrer un évêque, dans l'examen public fait devant tous les assistants, que le consécrateur lui pose solennellement la question.
« Voulez-vous, au nom du Seigneur, être accueillant et miséricordieux envers les pauvres, les voyageurs et tous les nécessiteux ? » Le futur évêque répond : « Je le veux. »
Et c'est après cet examen sur la Charité pratique, après seulement, que débute l'interrogatoire sur la Foi. Ensuite, voici la cérémonie du sacre qui commence.
Mais, au sacre de l'Evêque coadjuteur de Lourdes, ce 2 février, après cette question, je reste aveuglé et je ne vois plus rien, ni les cierges, ni les admirables rites lyonnais. Je suis resté ébloui par cette question de l'accueil. Depuis cet éclair de charité, dans la somptueuse cérémonie de Fourvières, je ne voyais plus rien que la pauvre Bernadette allant chercher des branches mortes et des vieux os.
Et sur le lointain fond sonore des orgues et des répons liturgiques, je n'entendais qu'un immense piétinement. C'était Bernadette encore, mais entraînant derrière elle depuis cent ans un interminable et quotidien cortège des nécessiteux.
... Il a fallu la bénédiction finale et le départ de la procession épiscopale, pour me sortir enfin de l'autre cortège...
Il y a bien de temps en temps, parmi les visiteurs et visiteuses de nos diverses Cités-Secours, des gens super-raisonnables qui me posent finalement l'inévitable question. Je les vois venir d'avance. Cela se sent à un tic qui voudrait être un certain sourire dans leurs yeux. Et surtout s'ils n'ont rien donné, ils prennent alors un air brusque de contrôleur pour poser la fameuse question : « Etes-vous sûr que dans Votre Cité, il n'y en a pas qui abusent ? »
Ces chers amis-là, j'ai généralement envie de les étrangler. Comme cela ne peut pas se faire poliment, j'avais jusqu'ici quelques réponses calmantes toutes préparées, avec des statistiques rassurantes. C'est fini.
Désormais, je me promène avec ce texte liturgique sous la main. Que voulez-vous de mieux que ce rite du pontifical des Evêques ?
« Voulez-vous, au nom du Seigneur, être accueillant et miséricordieux envers les pauvres, les voyageurs et tous les nécessiteux ? »
Ainsi soit-il.
Jean RODHAIN