Les clercs, le jardinier et la crèche (Fable vraie)
"Les clercs, le jardinier et la crèche", MSC, n°27, janvier 1953, p.1.
Les clercs, le jardinier et la crèche (Fable vraie)
par Jean RODHAIN, Prélat de Sa Sainteté
Quarante spécialistes étudiaient une plante malade. Il y avait le chimiste, le biologiste, et même le psychanalyste breveté ès vie végétative. Un jardinier passa. Sans ouvrir aucun manuel, il dit : « Arrosez la ». Cet homme fit figure de manant.
A t on idée de dire des choses simples en face d’intelligents brevetés ? On laissa faire le manant. Et la plante refleurit.
J’en demande pardon à mes confrères clercs, mais je songe à cette fable depuis que je les vois se pencher en chœur sur un récent document anémique. Vous connaissez l’histoire : un grand général américain, au langage précis et définitif, a dit, ou aurait dit (ou dit qu’il n’a peut-être pas dit) que « la fibre morale des Français se désintègre » et que « 50% des Français sont agnostiques ou athées » .
Du coup, la remarquable revue Réalités présente une réponse intitulée : « Un document capital sur notre époque », neuf pages glacées, de luxe, avec graphiques et statistiques sur « pratique et sentiments religieux en France » .
Et depuis six semaines, tous les clercs en chimie spirituelle, tous les experts en apostolat passent au crible cet article. Avec unanimité, ils s’étonnent de découvrir dans cette revue, qui a le privilège des couleurs les plus réussies, un article aussi anémique. Pourquoi ce si pâle, ce si mièvre reflet de la vivante vie de l’Église ? Ici, les experts divergent. Avec des balances, les uns pèsent les estimations de l’article : le sexe féminin, qui mange maigre le vendredi, est il de 53 ou 54 % (sic) ? Avec un centimètre, les autres contrôlent si vraiment 13 % des hommes de vingt à trente quatre ans « iraient jusqu’au martyre » (re sic).
Nos experts reconnaissent ce travail comme remarquable : une enquête pareille, ça avait dû coûter du temps, des règles à calculs et de l’argent, beaucoup d’argent ! Travail bien fait. Mais cela présente finalement la figure d’un homme au cerveau génial avec la poignée de main vaselineuse. On cherchait comment tant de science et d’analyse ne donnait le visage vivant de l’Église. On cherche, sans trouver pourquoi...
Et nos experts accumulent dans moultes revues « religieuses » moultes superexplications.
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Un jardinier passa. Ni un théologien ni un clerc. Un laïc nommé Herbin, qui était du métier : professeur à l’École technique de publicité. Et tout bonnement, dans une revue technique de publicité , il déclara tout net : "Réalités n’a oublié que la réalité". Son étude étudie tout, sauf l’essentiel : la Charité. Si cette étude est pâle, c’est qu’on a oublié tout simplement le sang de l’Église. La Charité, c’est la vraie vie de l’Église. Qu’as tu fait pour ton frère ? » C’était la première question à poser. Cette question oubliée, tout disparaît...
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Cher Pierre Herbin, il fallait vos gros souliers de jardinier, avec votre âme de poète et d’enfant, pour illuminer d’un coup tous ces superexperts. Aussi, je mets votre article en gros caractères dans ce Messages de Noël .
Parce qu’aucun psychanalyste ne dira les paroles des bergers ; ni des mages dans la Crèche (on n’en sait absolument rien). Mais, pleines d’offrandes, les mains des Mages et des bergers nous parlent mieux qu’une statistique. Elle replacent, au cœur de l’Incarnation et au cœur de l’Église, la place même de ce « cœur » trop oublié.
La Crèche, c’est la Charité du Christ. Et c’est le premier balbutiement de la charité des hommes.
BON NOËL !