Fidélité
Jean RODHAIN, "Fidélité", Nos prisonniers, Fêtes et saisons, 1941, pp. 1-2.
AVANT-PROPOS
par M. L’abbé RODHAIN
Aumônier général des prisonniers de guerre
Fidélité
Dans le Kommando tout noir, Ie jour va se lever. Dans quelques minutes c’est Ie réveil, et puis I’implacable enchaînement des minutes laborieuses jusqu’au soir. Toujours Ie même rythme et toujours la même captivité. Dans Ies cases superposées Ies pensées à demi éveillées naviguent du village de la Beauce à ce mas provençal où déjà les bêtes remuent dans I’étable. Les bruits familiers de la ferme qui s’éveille semble si proches ! Mais entre la table de la cuisine où Ie bol de café attend Ies gosses et Ie jardin où Ie chien sans son maître gambade déjà, qui donc pense au « Gefang » ? A part la gardienne du foyer qui donc, dans Ie village, réalise vraiment la vie captive de 1.200.000 de ses frères ?
Qui donc ? Mais c’est justement pour qu’il y en ait un de plus qui ne Ies oublie pas, que ces pages ont été réunies… Un de plus qui s’intéresse ! Qui donc ? Pourquoi pas toi ?
Dans le Kommando déjà moins noir, près du fond de la baraque, sur la table à tout faire, un bout de cierge clignote mal : avec l’ornement étriqué qui ne sait pas cacher les bandes molletières, l’abbé achève sa messe. Dans un instant ce sera un bruit de gamelles et le « Heraus, alles Heraus ! » indiscutable.
A cette messe furtive, même celui qui n’y assiste jamais associe I’image d’un clocher dans un frais paysage de France.
Il se demande si peut-être à cette heure, dans la ferme maintenant éveillée, ses deux gosses en chemise au pied du lit ne disent pas un « Notre Père » pour le père captif.
Un lien, plus fort que tout lien humain, quelque chose d’autre que des mots ou des articles d’illustrés, il le sent, relie cette famille fidèle.
La prière supprime les barbelés.
C’est peut-être pour cela qu’on a demandé, pour présenter ces pages, ce petit mot à celui qui a l’honneur de représenter près de vous les « abbés » de tous les Kommandos,
L’AUMÔNIER GÉNÉRAL DES PRISONNIERS DE GUERRE.