Charité "catholique"
Jean RODHAIN,
« Charité "catholique" », Messages de l’aumônerie générale, n° 13, 7 novembre 1945, p. 1.
Charité "catholique"
Ce Samedi soir, au milieu de la zone américaine, tous les israélites anciens déportés sont réunis autour du rabbin.
Il vient de refermer l’armoire où est rangée la Thora. Il termine l’office... en se tournant vers l’aumônier général qui arrive de Paris. "Nous voudrions, au nom de toute la communauté israélite déportée, vous demander d’exprimer au Pape notre reconnaissance pour l’hospitalité qu’il nous offre et pour les facilités données à notre culte." La scène se passe dans un hôpital, créé et géré par l’Aumônerie, avec les secours du Vatican...
Ce Dimanche matin 14 octobre, à l’heure où toutes les paroisses de France prient pour les déportés, une courte cérémonie se déroule à deux pas du charnier de Vainhingen : "Le camp de la mort lente". Les survivants du camp sont rassemblés autour d’un mât où monte un drapeau. Ils chantent : pas un mot de français, puisque tous sont Polonais, ou Tchèques, ou Hongrois. Aux fenêtres de l’hôpital, ceux qui ont pu se traîner regardent. Les religieuses parisiennes qui, depuis six mois, les soignent en silence, se signent : le drapeau est maintenant arrivé au sommet du mât : c’est le drapeau pontifical, puisqu’ici encore c’est une Mission plantée là au nom de Rome.
Après 200 kilomètres en zone russe, voici un groupe de compatriotes isolés dans l’Est... Un fonctionnaire, éloquent et distingué, me développe admirablement un projet d’aide internationale catholique. Ses projets sont magnifiques et son Comité impressionnant, mais il m’avoue n’avoir commencé encore aucune réalisation... Heureusement, en ce pays de misère, je passe ma soirée avec la poignée de petites sœurs de l’Assomption qui soignent les contagieux de toutes races, transitant là à travers l’Europe, et qui les soignent sans phrases, tout simplement parce qu’un soir de mai, leur Supérieure Générale, pensant faire œuvre "catholique", les a embarquées dans un pauvre camion qui partait de l’Aumônerie Générale...
Après avoir parcouru, pendant ce mois d’Octobre, quelques milliers de kilomètres à travers l’Europe centrale en toutes zones, zone russe y comprise, j’ai préféré citer ces trois faits et m’en tenir là.
Car faire un long récit et un récit complet serait avouer combien l’atmosphère est sombre là-bas.
Dans cette misère générale qui monte avec l’hiver et dont les victimes de la barbarie nazie seront les premières à souffrir, la charité catholique met quelques lueurs. Je voulais que tous ceux qui nous ont aidés le 14 octobre sachent qu’ainsi ils contribuent à cette lumière "universelle". Je pense surtout à cette paroisse des Vosges, dévastée totalement, qui fut, de toute la France, la plus rapide à envoyer ses secours pour les Missions Vaticanes.
Merci.
Jean RODHAIN