Climat
Jean RODHAIN, "Climat", Messages de l’aumônerie générale, n° 2, 10 mars 1945, p. 1.
Climat
L’autre soir, une sonnerie militaire s’élevait au milieu du silence d’une foule semée de voiles de deuil. Cette foule était celle des familles de prisonniers et de déportés entourant les veuves des soldats français morts pour que leurs absents reviennent. Les cuivres appelaient les absents. L’Armée libératrice rejoignait l’Armée captive. Et pour la première fois depuis la guerre, une seule cérémonie unissait les familles de ceux qui ne reviendront plus, aux familles de ceux qui vont revenir, grâce au sacrifice de ceux-ci. Le lien entre ces éloignés devenait visible.
Et quel était ce lien, quel était ce personnage assez éloquent pour réussir d’un coup à mettre à l’unisson les deuils de celles-ci et l’espérance de ceux-là, pour créer un tel climat d’espoir dans une foule sans nouvelles ? Dans Saint-Sulpice, l’église la plus vaste de Paris, ce lien s’avançait, porté par dix prisonniers rapatriés, ce personnage était une fille de chez nous, prisonnière à 15 ans et morte à 20 ans et dont le rayonnement se joue des grilles et des distances, et du silence. Sainte Thérèse de Lisieux s’avançait dans sa châsse, celle qui avait choisi la voie en apparence la plus inutile, la plus silencieuse, la plus éloignée, s’avançait parmi des homme et des femmes, qui la considéraient à cette heure comme la plus efficace et la plus parlante, et la plus proche pour leur foyer.
Elle s’avançait avec peine dans cette foule où chacun avait le cœur quelque part sur une route entre le Rhin et l’Oder.
Parlant des absents, Pierre Bloch écrivait hier, dans le "Populaire" : "Il faut créer le climat ; les quêtes et les soirées de bienfaisance ne suffisent pas ... on manque de foi et de mystique".
Il y avait un certain climat, je vous assure, à Saint-Sulpice, samedi dernier, lorsque cet ancien prisonnier de 1940, qu’est Son Excellence Mgr Cazaux, évoquait les captifs.
Il y avait une mystique certaine dans la foule tout entière autour de la châsse de Sainte Thérèse.
Là-bas, le savent-ils ? L’ont-ils appris ? Et puisqu’aucune radio n’a jugé opportun de leur dire un mot de cette cérémonie des absents, je vous demande, sur votre prochaine carte de réserver deux lignes où vous saurez leur donner le Climat de Paris groupé pour eux autour de cette Geneviève moderne.
Jean Rodhain