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Le chapitre 3743 des Actes des Apôtres

15 novembre 2014
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« Le chapitre 3743 des "Actes des Apôtres" », MSC, n° 6, novembre 1948, p. 1.

Le chapitre 3743 des "Actes des Apôtres"

L’AVION à peine envolé, je découvre en mon voisin de route un calculateur maussade chiffrant sans pitié les carences actuelles de l’Église. A la verticale de Rome, il me démontre la lenteur de ses interventions et le retard de ses gestes. La chrétienté, parait-il, était accordée au rythme du monde lorsqu’il cheminait en diligences ; par contre, au rythme de nos jours atomiques, la chrétienté s’essoufflerait, sans réussir à s’insérer dans l’accélération de ce monde. Dans la trépidation régulière du « Constellation », mon interlocuteur triomphe, et me désigne du doigt les spécimens humains adaptés aux machines actuelles : ce pilote de vingt-cinq ans au visage de statue métallique, si tendu vers son monstrueux tableau de bord qu’il semble un instrument de plus. Cette hôtesse de l’air remontée comme une mécanique impeccable, distribuant sans répit aux affamés des sandwichs, et aux passagers trop nerveux des sourires optimistes.

Nous survolons Corinthe entrevue entre deux ourlets de nuages et mon voisin regrette que nos actuels Corinthiens n’aient pas un saint Paul moderne attaché à quelque grand journal. L’Église est trop absente dans cette carlingue et dans ce monde.

Oui, mais à l’escale d’Athènes, deux silhouettes aux visages sans maquillage sont venues occuper les deux sièges voisins : tranquilles, paisibles, perdues entre le Mystère de la Visitation et celui de l’Annonciation, deux religieuses, deux soeurs grises égrènent leur rosaire près de nous, tout en glissant à 500 kilomètres-heure vers leur mission des Indes. Présence de l’Église.

Car sans cesse l’Esprit Saint, d’un éclair gigantesque court-circuite nos minuscules inventions faites à nos minuscules mesures ; chaque fois qu’un terrestre savant de trois pas s’avance dans notre nuit, c’est une perspective nouvelle qu’il a finalement déchirée, une perspective où danse en avant une flamme de Pentecôte. La grâce est toujours en avant et en avance.

Bernadette ne sait pas lire, elle n’a jamais vu une mappemonde. Il suffira qu’elle convoque près de son ruisseau les cinq continents, et voici qu’aussitôt toutes les races s’y précipitent : à Lourdes, le noir et le blanc, le Germain et la Latin se rejoignent plus exactement, plus fidèlement et plus efficacement à l’appel de cette surnaturelle illettrée que si par tous les techniciens de l’O.N.U. ils avaient été invités.

Vincent de Paul avec son costume périmé et son visage mal rasé s’en vient troubler et séduire, et appeler chaque jour une jeunesse qui lui donnera sans compter son coeur pour la misère, et ses mains pour le lépreux.

François d’Assise ne connaît ni la vapeur, ni les volts, ni l’atome ; cependant, sans haut-parleur, ni journal, il interpelle dans le secret les âmes par milliers, les remplit d’une musique qu’aucun cadran ne saurait mesurer et les fait une à une chavirer dans cet amour divin plus présent que le soleil de chaque matin. Dans la jeunesse de l’Eglise, les Actes des Apôtres s’écrivent désormais en texte continu, sans chapitres, ni versets.

Par saccades amorties, l’avion descend l’escalier des nuages vers l’aérodrome palestinien. Le paysage aplati comme une carte ressemble à tous les paysages aériens : villes grises, damiers des champs et lacets des cheminements. La Terre Sainte s’encadre dans le hublot comme tous les terrains.

Rapide arrêt pour ravitaillement en essence. Encadrés de douaniers, les passagers ont seulement le droit d’atteindre un bar aussi standard que tous les bars d’aérodrome. Entre les auto-mitrailleuses qui l’entourent, on voudrait, dans le petit jour, deviner l’horizon incertain, mais une garde armée vous ramène rapidement dans la carlingue. L’avion repart vers le Sud, sans qu’un seul passager ait pu se résigner à nommer cette piste cimentée « Terre Sainte ». Regrets, mais regard plus aigu à travers l’espace et le temps : toute terre n’est-elle pas finalement, saturée de sainteté et la Rédemption présente à chaque instant ?

Je n’ai pas vu la Samarie, mais le puits de Jacob n’est-il pas un puits artésien sans cesse rejaillissant : la comptable de l’usine moderne méditant en son coeur dialogue d’aussi près avec son Sauveur que la Samaritaine autrefois assise sur sa margelle.

Je n’ai pas visité la Cité de David : David était inspiré, mais son psaume murmuré ce matin dans la glaciale église par ce vieux curé commençant l’introït devant le Tabernacle, chante une réalité autrement précieuse que l’Arche ou le Temple. Voici cachée sous nos pieds la Terre invisible d’Isaïe et de Melchisedech : oui, mais l’enfant de nos catéchismes fréquente une Eucharistie dont ces géants de la Prophétie n’ont connu que la figure.

Je n’ai point pénétré dans Jérusalem : le petit mandat-poste de carton rose que la pauvre servante remet au facteur pour les Missions d’Orient sera glorifié autant que le fut, en son Temple, l’obole de la Veuve. Et ce vieillard visitant les prisons de nos jours sera, dans mille ans, honoré comme Tobie.

Dans la psalmodie de la Rédemption le cantique de nos jours fait écho - exactement - à celui du Testament ancien et les vallées rectilignes de nos immeubles répondent aux vallées de Chaldée dans un dialogue d’une éternelle symétrie.

Ces deux amis en veston dans leur wagon de troisième classe, ont en parlant de Vous, Seigneur, le coeur exactement aussi brûlant que les pèlerins d’Emmaüs. Et dans l’autobus de la route départementale Vous reconnaissez, n’est-ce pas, Seigneur, ce juste ignoré dont le mérite secret préservera sa ville comme autrefois Abraham. Oui, c’est vrai, Vous circulez sans répit, Seigneur, parmi nous, non plus entre la vigne et le lac, mais entre le monde et ses outils d’aujourd’hui. Nos villes n’ont plus de jardin des Oliviers, ni de Cénacle, mais Vous êtes présent à côté de la moissonneuse, de la fraiseuse, de la machine à calculer ou du berceau, et dans l’hôpital dernier cri, l’âme expirante Vous retrouve tout entier au rendez vous du Crucifié.

A travers les détails de notre calendrier, Vous marchez près de nous, Seigneur, si doucement que nous ne Vous voyons même pas, et Vous utilisez si délicatement vos pauvres et actuelles créatures qu’elles ne s’en doutent même plus : mais le pain que Vous multipliez est fait comme jadis de nos miettes récoltées.

Seigneur, Vous écrivez droit avec nos caractères penchés, et votre Église aime le monde avec nos gestes maladroits. La vraie Charité de l’Eglise, en 1948, ce n’est point l’Évangéliste du grand vitrail, ni l’enluminure du XIIIe siècle, ni non plus le spécialiste moderne : l’Église étant chacun de nous, sa charité dépend de nous.

Parmi toutes nos paroisses en prières unanimes, en ce dimanche 21 novembre, Seigneur, apprenez-nous à chacun la véritable Charité.

Abbé Jean Rodhain

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