Avec les mages
Jean RODHAIN, « Avec les mages », Bulletin de liaison du Secours Catholique, n° 25, janvier 1949, p. 3-4.
Avec les mages
On arrive enfin à cet espace étroit dont rien de l’extérieur ne signale le précieux contenu. Dans cette bourgade, ce point rayonne invisiblement. En ce mois d'hiver, quelques-uns seulement ont pu approcher, et admirer ce trésor caché au creux de cette masse rocheuse.
Ce rocher est en réalité du béton. Car vous l’avez deviné, il s’agit, en cette bourgade appelée Chatillon près Paris de cette pile atomique nommée Zoé, objet depuis la veille de Noël, de la vénération des humains actuels.
En fait, ils n'admirent point l’uranium (c’est vieux), mais la découverte qu'ils ont récemment faite de ses propriétés. Ils n’admirent pas non plus les atomes, ni les neutrons, ni les rayons (ça existe depuis avant eux) mais ils admirent la notion qu'ils commencent à en avoir.
Dans le chant du rossignol, notre oreille ne perçoit qu’1/10 des sons émis. Les 9/10 de ses trilles sont donc des vibrations existantes, mais jusqu'ici non perceptibles encore à l’humain. Dans 10 ans il se trouvera bien pour les enregistrer quelque savant américain. Un autre découvrira que tel minerai, jusqu'ici réputé inerte, nous baignait en réalité sans cesse de rayons importants mais ignorés. Et dans un siècle d'autres savants découvriront dans le corps humain telles effluves, jusqu'alors inconnues, mais réellement émises et dont la force, l'orientation, les modalités donneront la clef de certains problèmes de télépathie ou de transmission de pensée. En fait, les humains sont comme des enfants, au nez plongé dans un lexique d’herboriste limité à douze tisanes, et brusquement lâchés dans une forêt vierge dont ils ne soupçonnent point l'exubérance. Chaque découverte scientifique nous fait reconnaître un détail du décor. Et chaque page de l'Évangile nous fait voir au-delà du décor.
Ainsi il y a, dans la pile de Chatillon, cachée sous l'apparence du béton, une sarabande d’atomes dont le déchaînement serait une force inattendue. Mais il y a, cachée sous l'apparence d'une simple hostie, une accumulation de grâces dont le déclenchement dépasse toute mesure.
Ainsi il y a, entre l'uranium et le graphite une « convenance » telle que de l'un à l'autre la désintégration des atomes tantôt s’amplifie, ou tantôt s’éteint. Mais il y a, entre celui qui souffre et celui qui tombe en tentation, entre celui qui prie et celui qui désespère, une pareille, et mystérieuse, et réelle résonance. Ça s'appelle la Communion des Saints. Le catéchisme est toujours en avance.
Au jour du face à face éternel, tandis que nos savants vérifieront à quatre pattes si leur petit puzzle coïncide avec un détail d'une miette d'une ombre de l’éblouissement général, le croyant, lui, s’étonnera de n’avoir pas assez cru.
Celui qui avait toute sa vie regardé, conviendra de son aveuglement, puisqu'il n'avait rien su voir.
L’humanité entière sera confondue, pour ses siècles de discours aveugles, comme Thomas le fut pour son mot.
Alors, Jacques et Jean conviendront que l'instant de la Transfiguration donnait l'optique exacte et l'aspect véritable. Alors, tous les riches découvriront en chaque Lazare un Jésus sans cesse côtoyé, et soudain révélé.
Alors, avec la Samaritaine, chaque paroissien distrait savourera en un instant les cascades ruisselantes de la grâce par un seul sacrement, à son insu, en lui chaque dimanche déclenchées.
Les plus gigantesques piles atomiques iront cacher leur confusion parmi les chiquenaudes enfantines, car alors, la gigantesque réalité éclatera là où elle était : chacun réalisera d’un seul coup le véritable bain de forces rayonnantes, de grâces fulgurantes, de prévenances divines, de clartés évangéliques, dans lequel il a terrestrement cheminé, sans rien voir, ni rien comprendre.
Le berger gémira de n'avoir point conservé toute sa vie l'Enfant de la crèche dans la prunelle de ses yeux.
Mais les Mages rayonneront, avec Marie, d'avoir « conservé toutes ces choses dans leur cœur ».
Avec les mages, apprenons à distinguer, parmi les étoiles, celle qui n’est point dans l'almanach Hachette. Avec les Mages, cherchons à lire les Ecritures, même lorsque c’est Hérode qui en fournit l'explication. Les Mages ont les mains pleines. Les Mages ne parlent pas. Les Mages arrivent enfin à cet espace étroit dont rien de l’extérieur ne signale le précieux contenu. Dans cette bourgade, ce point rayonne invisiblement : En ce mois d'hiver, avec les Mages, prenons le temps d'adorer, c'est-à-dire d'abord de contempler.
Jean RODHAIN
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Pour le Cardinal Primat de Hongrie
Le Secours Catholique a préparé un colis de Noël pour Son Éminence le Cardinal MINDSZENTY, Primat de Hongrie.
Je l’ai envoyé à l'Ambassadeur de Hongrie avec une lettre le priant de le remettre. L'Ambassadeur a refusé.
Je viens de lui écrire une seconde fois.
Nous vous tiendrons au courant, et au besoin, je publierai la correspondance.
J.R.