La maison vous parle
Jean RODHAIN, « La maison vous parle », Messages du Secours Catholique, n° 8, mai 1949, p. 1.
La maison vous parle
Cette simple maison de carton, cette tirelire du grand‑père a donc été parlante. Au service de la Campagne des Vieillards elle a plaidé, elle a recueilli, elle a aidé. Comme je voudrais qu'elle sache dire merci à tous ceux qui l'ont placée, qui l'ont accueillie, qui l'ont remplie, à tous ceux, enfants et grands, qui dans le secret ont aidé les vieillards. Merci : c'est son dernier mot avant de disparaître. Pour reparaître, bien entendu, l'an prochain; une idée aussi facilement adoptée par tous et partout devient automatiquement une tradition : il y aura, en 1950, une nouvelle « maison‑tirelire », évidemment.
* * *
Si cette maisonnette a permis ces distributions locales, si elle a servi efficacement la cause des vieillards, c'est parce qu'elle répondait exactement au désir sincère de chacun.
Mais le désir ne suffit pas : il tend vers la réalisation. Il l'attend.
Ainsi, des milliers de cœurs chrétiens sont émus à chaque nouvelle qui leur parvient de Palestine. Ils sont remplis du désir d'aider les "Lieux Saints", et les victimes de cette guerre en Galilée. Comment atteindre les misères de Bethléem ? Une simple annonce discrète et aussitôt les dons convergent vers le premier envoi du Secours Catholique. Nous préparons un second envoi vers Bethléem. Nous sommes certains du résultat : justement parce que le Secours Catholique est fait pour cela : harmoniser les charités individuelles vers des réalisations collectives. Chaque âme serait‑elle remplie de Charité, si l'unité du travail n'est pas réalisée, il y a division, il y a dispersion, il y a déperdition.
L'éparpillement d'une richesse devient une pauvreté. L'effritement d'une présence devient vite une absence.
En nous aidant, chaque adhérent ne vient pas seulement au secours de Bethléem du même coup il concourt à l'harmonisation de la Charité.
* * *
Après ce repas de 3.000 vieillards, on nous a fait de multiples compliments : la plupart portaient sur l'organisation. Il est vrai que les autobus spéciaux ont déversé leur lot de convives avec exactitude. Il est évident que chaque groupe paroissial a reçu un plan et des tickets numérotés lui permettant de rejoindre sa place sans erreur. Mais je n'en suis pas fier du tout. N'importe quelle administration tant soit peu expérimentée et méthodique peut en faire autant. Un constructeur de réveille‑matin ou un paveur de rue fait aussi un travail méthodique. Sans cela ce ne serait même pas un "travail" véritable.
La caractéristique de ce repas était ailleurs : au sortir du repas, ce banquier qui avait présidé une table était bouleversé. Sa voisine, 83 ans, gagnait sa vie, actuellement, comme encaisseuse d'une compagnie d'assurances, en faisant du porte à porte. Il n'y avait jamais songé. Il venait de découvrir cette misère.
Cet autre me confiait, au sortir de la manifestation ‑ « je n'ai plus la conscience tranquille. A ma table, une vieille de 79 ans, recevant au dessert sa boite de lait, m'a avoué n'en avoir pas bu depuis deux ans. »
Faire voir le pauvre Lazare sur son escalier : bouleverser par ce spectacle les gens trop tranquilles. Secouer par ce contact les consciences trop satisfaites. C'est le premier but du Secours. Harmoniser la charité, mais après l'avoir éveillée par la connaissance da la misère. C'est le but de ce journal, de votre adhésion au Secours Catholique. Le Secours est une pédagogie. Le Secours est une éducation. Le Secours est un apprentissage de la misère : mettre chacun en contact avec elle.
Et dans « chacun », il y a d'abord chacun de nous...
Abbé Jean RODHAIN.
Secrétaire général du Secours Catholique.