La vingt-cinquième année
Jean RODHAIN, « La 25ème année », Messages du Secours Catholique, n° 10, décembre 1949, p. 7.
La vingt-cinquième année
Croyant sa dernière heure arrivée, l'humanité s'est toujours fabriqué pour elle-même des oraisons funèbres et des diagnostIcs définitifs.
Le déluge, les Barbares, la peste ou l'atome ont successivement impressionné l'humain. Il y avait de quoi. Chaque génération en a aussitôt déduit qu'elle était donc le dernier témoin. Oubliant que sans déluge, ni barbare, ni peste, ni atome, le Créateur pourrait, sans préavis, clore d'un coup sec la création, l'humain s'imagine sans cesse être l'acteur final du dernier acte. Comme le migraineux crispé sur sa nausée s'imagine son terrestre voyage terminé, à chaque crise l'humanité se croit à son dernier jour. Ces fourmis humaines manquent de perspective. Leurs désespoirs sont épidémiques et périodiques. Mais ils produisent des chefs‑d'œuvre : La "Vingt‑cinquième heure"[1] en est un.
Même tragique, notre époque n'est cependant qu'une heure au milieu de vingt‑quatre.
L'Église pour qui les rythmes de la grâce sont d'autres dimensions, regarde au delà des collines, des techniques et des cadrans humains. Un déluge d'eau ou de barbarie, une peste des corps ou des cerveaux, un feu grégeois ou atomique, sont pour elle de simples signes topographiques sur la carte d'un Himalaya dont les deux Testaments forment les versants.
L'Ancien Testament fut une pente interminable, partie des marécages limoneux où le Créateur modela le premier homme. Mille paliers de mille siècles chacun conduisirent à la ligne de partage des eaux de la Rédemption. Et le Mont du Calvaire fit basculer l'humanité vers une pente aux perspectives infinies, infinies comme le sang divin qui l'a fécondée.
Vendredi Saint, c'était hier. Cette Rédemption, a peine encore entrevue par un millième des humains, si elle s'arrêtait maintenant, serait un échec flagrant. Dans l'échelle de demain, symétrique de celle de Jacob, elle commence à peine : Nous sommes les premiers chrétiens.
* * *
A peine terminé le second palier de mille ans, voici que la moitié de l'humanité ne sait encore ni lire ni écrire. En 1949, la moitié des hommes ne mangent pas à leur faim. Et seule une partie infime a l'appétit de la grâce rédemptrice. Dans un minuscule territoire, quelques humains essayent d'appliquer sans bruit quelques lois sociales inspirées du Christ Rédempteur. Ailleurs, quelques humains inventent un geste de Caïn, à l'échelle d'une humanité grandie depuis Caïn. D'autres s'avancent à tâtons dans un décor grandiose, fuyant et déconcertant pour leur optique limitée.
Et l'Eglise, suivant pas à pas Celui qui est la Voie, pour donner aux uns et aux autres le sens de la mesure, pose de pas en pas des bornes monumentales marquant les étapes de la Rédemption :
La plus grande histoire de la terre.
Et la plus grande histoire des cieux.
La plus grande histoire de jamais.
La seule grande histoire de jamais.
La plus grande histoire de tout le monde.
La seule histoire intéressante qui soit jamais arrivée.[2]
Ces monumentaux points de repère modernes sont symétriques de ceux placés sur les pentes de l'Ancien Testament. Les prêtres juifs, à coups de cornes de bélier[3] rappelaient tous les cinquante ans les droits du Créateur. Ils invitaient à libérer les esclaves, à restituer les terres, à effacer les dettes, pour signifier sa stricte dépendance à tout un peuple endurci, tandis qu'en gémissant ce peuple montait sa route vers l'indispensable Sacrifice rédempteur.
L'Église du Nouveau Testament, ayant choisi le rythme de vingt‑cinq ans, invite aux mêmes gestes pour rappeler la même dépendance. Mais, regardant plus loin que la judaïque, et tenant en main le calice inestimable, elle convoque le peuple dans la jubilation d'une rédemption déjà réalisée et la juvénile vigueur d'un Évangile récent.
La prochaine convocation est pour 1950.
Elle éclatera à Noël, au moment où, pour nous élargir nos étroits horizons, le 286ème successeur de Pierre ouvrira cette porte murée au seuil de la Basilique du premier Pierre.
Cela s*appelle « Année Sainte ».
Abbé Jean RODHAIN.
Secrétaire général de l'Année Sainte.
Article paru dans le "Figaro" du 6‑12‑49.