Rome, capitale de la charité
"Rome, capitale de la charité", Anno Santo 1950, Reflets du Monde, décembre 1949, np.
ROME, capitale de la charité
par l’Abbé Jean RODHAIN
Secrétaire général du Comité national français de l’Année Sainte
"Ici la grâce et la charité du Maître nourrissent plus de 1.500 veuves et indigents". (Lettre du Pape Corneille (251 253) à Fabius, évêque d’Antioche ).
Aux antipodes de la Cité du Vatican, cette infirmière a veillé toute la nuit ses lépreux. Elle ne quitte leurs plaies que pour psalmodier Prime. Elle est liée à cet hôpital et à cette psalmodie par le vœu qu’elle a fait librement, et ce lien qui la lie est tenu finalement par une autorité installée à Rome.
Dans cette Université lointaine, ce professeur explique la Charité du Christ dans la cité ou la profession, et ses élèves prennent bonne note de son cours tout nourri d’encycliques : elles sont datées de Rome.
Ces enfants de la banlieue de Chicago entassent, jour par jour, de multiples colis pour les enfants d’Europe, parce qu’un appel leur est venu du Père commun : ce Père leur a parlé directement, de Rome même.
Faites au hasard une coupe histologique dans le tissu vivant de la Charité, et vous trouverez chaque fois un nerf spirituel, un ligament canonique qui, en fin de compte, vous conduira vers la tête de l’Eglise.
Parvenu en ce lieu "capital", le pèlerin y rencontre des maîtres de la vertu capitale le diacre Laurent dévoile son véritable trésor : « Les pauvres à la charge de l’Eglise ». Il les dévoile, non seulement au Barbare avide jadis, mais au pèlerin curieux d’aujourd’hui.
Qu’il descende aux Catacombes, le pèlerin fréquentera les "fossores" avec leur réseau multiforme des charités souterraines au service des martyrs.
Voici, dans l’enceinte d’Aurélien, l’incessante circulation de conseils, de renseignements, de secours matériels , qui marque la charité révolutionnaire des communautés romaines à l’apogée de l’Empire.
Qu’il s’attarde entre le Capitole et l’Aventin, et le pèlerin découvrira ces laïcs romains, responsables de la charité, qui gèrent les dix huit grandes diaconies, distribuant les secours : ils s’avancent, conduisant leurs pauvres au bain hebdomadaire et chantant avec eux psaumes et litanies , tandis que dans le quartier grec, près de la vieille diaconie Sainte Marie in Cosmedin , les chars de blés débarqués du Tibre tout proche lui rappelleront la Rome secourable du moyen âge
Enfin, l’isola Tiberina présente au pèlerin ce vaisseau infatigable au flot des siècles et des guerres qu’est l’hôpital des Frères de Saint Jean de Dieu : prototype achevé et résumé quotidien de la Rome charitable.
Le pèlerin de 1950 qui est parvenu, s’il l’a pu, jusqu’à la curieuse gare de la Cité du Vatican aura remarqué cette permanence de la Rome charitable. Bâtie pour la réception solennelle d’illustres visiteurs, elle n’a encore jamais réalisé sa destination : son salon d’honneur est devenu un quai de marchandises sans cesse blanchi par les sacs de farine. Ici, s’exerce la charité pontificale "Liberavit a periculo famis civitatum romanam" . Ce rôle que le "Liber Pontificalis" soulignait à la fin du 5ème siècle chez le Pape Gélase, est devenu une tradition : l’histoire dira à quel point et combien de fois, S. S. Pie XII, en des heures récentes, a littéralement nourri le troupeau confié a l’Évêque de Rome.
Le pèlerin de 1950 est fier de cette sollicitude du Pape pour sa ville. À Rome, l’Exposition de la Charité lui a montré les multiples interventions, si peu connues, de la Commission Pontificale pour les misères de la chrétienté tout entière.
Mais le pèlerin de 1950 revient de Rome après avoir traversé en tous pays des gares gigantesques ou des aérodromes sans cesse agrandis. Ce pèlerin a vu de ses yeux le monde du tourisme et celui des affaires s’adapter aux structures nouvelles. Il cherchera comment le monde de la charité s’y est adapté lui aussi.
"On n’a que trop souvent à déplorer l’absence des organisations catholiques" . La plus autorisée de toutes les voix ayant ainsi gémi sur la lenteur des catholiques à s’adapter aux temps nouveaux, on devine combien cette plainte du Père devient douloureuse lorsque cette lenteur affecte cette charité dont Rome est la capitale. Chaque chrétien se sent responsable d’une certaine absence de la charité dans les structures de ce monde en 1950.
Chaque siècle a marqué cette ville du signe de sa charité. Il dépend de la chrétienté actuelle de répondre à l’appel du Pape pour que ce siècle donne à l’Église une présence de la charité adaptée aux institutions internationales de ce temps.
Mais cette inquiétude du pèlerin à ce sujet, cette recherche est déjà un commencement. Avant de bâtir, la charité creuse. Avant de construire, elle déchire douloureusement par une question hardie : c’est le creux du sillon, c’est l’inquiétude qui fouille le sol ainsi que l’âme et prépare les véritables fondations.
Rome guette le pèlerin et le saisit tout vif. Cette croix plantée à l’envers, avec le premier Pape la tête en bas, fait basculer son cœur au pèlerin attentif.
Cette pierre fondamentale bloque son chemin afin qu’il tourne autour, jusqu’à voir le véritable centre pour l’Église et pour lui.
Cette catacombe le fait descendre dans la profondeur de lui-même plus rigoureusement que la pente apparente de sa longue galerie.
Ainsi Rome guette le pèlerin et le saisit dès qu’il se présente sans calculer.
Bienheureux le pèlerin revenant de Rome avec au cœur une charité agrandie ; son groupe n’avait pas oublié d’emmener aussi le pauvre et l’infirme.
Bienheureux le pèlerin revenu de Rome ayant entendu, parmi les splendeurs des musées, le cri des misères. Devant le plafond du grand Jugement, il s’est souvenu que, lui-même, sur l’amour seul, sera finalement jugé.
Bienheureux le pèlerin qui, dans les foules du Vatican, a su distinguer les présences invisibles : le réfugié de Palestine et le D. P, le prisonnier politique et l’enfant abandonné, et l’interminable cortège du prolétariat de l’Ancien et du Nouveau Monde : car l’Église, elle, est là, et c’est vers eux que le Père regarde véritablement au delà de l’audience agitée.
Bienheureux le pèlerin qui, ayant écouté parler le Père, s’en retourne plus attentif vers le frère qui l’attend sans rien dire. Car déjà celui-là, dans son cœur, bâtit pour demain une plus grande Rome, capitale véritable de la charité.